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leurs cuirasses, ils ont le geste souverain d’un Jupiter tonnant et toutefois amène, dont la foudre serait un bâton parcouru, en guise d’étincelles, par des fleurs de lys d’or. Tous, ils font le même geste, pris au même moment d’une « figure réglée par un maitre de ballet, » comme le leur reprochait Reynolds. Mais ce geste, si auguste soit-il, n’est point destiné à éblouir, ni à épouvanter personne : l’expression souriante de leurs yeux et de leurs bouches le dit assez. C’est de nous qu’ils s’occupent. Chacun d’eux nous fait les honneurs de sa bataille comme d’une fêle, avec la tranquille aisance d’un maître de maison qui veut épargner à ses invités jusqu’au soupçon que les préparatifs lui ont coûté quelque peine. On ne lui imagine pas plus de liberté ni de grâce lorsque, d’Harcourt, il montre au jeune Philippe V les feux de joie qu’on vient d’allumer, pour sa venue, dans le parc du Retiro, ou, Villars, il désigne à Pierre le Grand les péripéties d’un assaut de nuit figuré par ses gens dans le parc de Vaux, éclairé aux fusées, ou, Luxembourg, lorsqu’il déploie les splendeurs de son Ligny devant Louis XIV, son hôte d’un jour, ou Maurice de Saxe, lorsqu’il fait à Mme de Pompadour les honneurs de son théâtre privé, ou des évolutions de ses houlans, en son château de Chambord.

Voilà les soins dignes d’occuper ces grands seigneurs, soins de politesse et d’hospitalité. Les marches, les fourrages, le pain qui manque, les routes qui s’effondrent, les chariots qui versent, l’argent du roi qui s’égare dans la poche des intermédiaires, les hommes qui tombent d’inanition dans la tranchée, les chevaux réduits aux feuilles d’arbres, les déserteurs, les mutineries : — bagatelles ! Qu’il y ait des morts, des malades, des plaies, de la pluie qui tombe et inonde les tranchées, éboule les fascines, des désordres, des misères, tout cela c’est possible, mais c’est pour l’intimité, la coulisse, comme sont les tracas domestiques d’une maison. Les angoisses, les mauvaises nuits de Villars sont pour les lettres à Mme de Maintenon et à Chamillart. « Aux autres, je me fais tout blanc de mon épée et de mes farines, » dit-il, à la veille de Malplaquet. S’il le faut, il annonce l’arrivée de convois imaginaires et l’envoi de millions supposés. La peine que vous avez prise de venir assister au spectacle vaut seule qu’on s’y arrête. Ce qui importe, c’est que les dames venues à la suite du roi puissent faire collation sur des labiés dressées entre les portières des carrosses et trouvent la musique