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L’affluence des amis qui sont venus me dire adieu met fin à notre dialogue.

Les deux députés socialistes français, Cachin et Moutet, et les deux délégués du socialisme anglais, O’Grady et Thorne, montent dans le train ; ils arrivent directement du Palais de Tauride où ils ont passé toute la nuit à délibérer avec le Soviet.

Le train part à 7 heures 40.



Haparanda, jeudi 17 mai.

Toute la journée d’hier, le train a parcouru la Finlande « aux mille lacs. »

Aussitôt la frontière franchie, comme on se sentait loin de la Russie ! Partout, dans chaque ville et dans le moindre village, l’aspect des maisons aux vitres nettes, aux persiennes claires, aux carrelages luisants, aux clôtures correctes, trahissait la propreté, le soin, l’ordre, l’économie domestique, le sens du confort et du home. Sous le ciel grisâtre, la campagne était d’une fraîcheur et d’une variété charmantes, surtout vers le soir, entre Tavastehus et Tammerfors. Verdure jeune des bois, des cultures et des prés ; rivières vives et murmurantes ; lacs limpides, moirés de reflets sombres.

Ce matin, près d’Uleaborg, la nature est devenue sévère. Des plaques de neige marbrent çà et là une lande stérile, où des bouleaux maigres luttent avec peine contre le climat hostile. Les rivières, au cours torrentiel, charrient des glaçons énormes.

Cachin et Moutet viennent causer dans mon wagon.

Moutet qui, depuis notre départ de Pétrograd, s’était montré taciturne et soucieux, me dit brusquement :

— Au fond, la Révolution russe a raison. Ce n’est pas tant une révolution politique qu’une révolution internationale. Les classes bourgeoises, capitalistes, impérialistes, ont déchaîné sur le monde une crise effroyable, qu’elles sont incapables de résoudre. La paix ne peut plus être réalisée que d’après les principes de l’Internationale. Ma conclusion est très nette : j’y ai encore réfléchi toute cette nuit : les socialistes français doivent se rendre à la conférence de Stockholm pour y provoquer une réunion plénière de l’Internationale et préparer les bases générales de la paix.

Cachin objecte :