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Mardi, 15 mai.

Milioukow m’offre un déjeuner d’adieu, auquel il a invité le marquis Carlotti, Albert Thomas, Sazonow, Nératow, Tatistchew, etc.

La démission de Goutchkow et son cri d’alarme assombrissent tous les visages.

Le ton sur lequel Milioukow me remercie du concours que je lui ai prêté me prouve qu’il se sent, lui aussi, condamné.


Depuis plusieurs semaines, le Gouvernement provisoire pressait Sazonow d’aller prendre possession de son ambassade à Londres. Il se dérobait, n’étant que trop justement inquiet de ce qu’il laisserait derrière soi, de la politique qu’on lui dicterait de Pétrograd. Sur les instances de Milioukow, il s’est résigné enfin à se mettre en route.

Nous partirons ensemble demain matin.

L’amirauté britannique doit envoyer à Bergen un aviso rapide et deux contre-torpilleurs pour nous transporter en Écosse.



Biélo-Ostrow, mercredi, 16 mai.

En arrivant ce matin à la gare de Finlande, je trouve Sazonow devant le wagon qui nous a été réservé. D’un ton grave, il m’annonce :

— Tout est changé ; je ne vous accompagne plus... Tenez, lisez !

Et il me tend une lettre qu’on vient de lui apportes, lettre datée de cette nuit même, et par laquelle le prince Lvow le prie de surseoir à son départ, Milioukow ayant donné sa démission.

— Je pars et vous restez, lui dis-je. N’est-ce pas symbolique ?

— Oui, c’est la fin de toute une politique !.. La présence de Milioukow était une dernière garantie de fidélité à notre tradition diplomatique. Maintenant, qu’aurais-je faire à Londres ?... Je crains que l’avenir ne prouve bientôt à M. Albert Thomas quelle faute il a commise en prenant si ouvertement parti pour le Soviet, contre Milioukow !