Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

procède immédiatement à ses incantations. Mais, ni le lendemain, ni les jours suivants, on ne voit paraître le moindre nuage au ciel ; la terre se dessèche de plus en plus ; les brebis continuent de maigrir et de mourir. Effrayé, le berger retourne bientôt chez le sorcier, qui lui prodigue les paroles rassurantes et les conseils de patience. Néanmoins, la sécheresse persiste encore ; la terre devient tout à fait aride. Alors le berger désespéré accourt de nouveau chez le sorcier et lui demande avec angoisse : « Tu es bien sûr de faire repousser l’herbe de mes prairies ? — Absolument sûr ; j’ai même fait cent fois des choses beaucoup plus difficiles ! Je te garantis donc que tes prairies reverdiront... Mais je ne peux pas te garantir que, d’ici-là toutes tes brebis ne seront pas mortes. »



Lundi, 7 mai.

A mon télégramme du 3 mai, Ribot répond en nous priant, Albert Thomas et moi, de lui exposer nos deux opinions.

— Rédigez votre thèse, me dit Albert Thomas ; je rédigerai ensuite la mienne et nous les enverrons telles quelles au Gouvernement.

Voici ma thèse :

« 1° L’anarchie se propage dans toute la Russie et la paralyse pour longtemps. La querelle entre le Gouvernement provisoire et le Soviet démontre, par sa durée même, leur impuissance réciproque. Le dégoût de la guerre, l’abdication de tous les rêves nationaux, le souci exclusif des problèmes intérieurs se manifestent de plus en plus dans l’esprit public. Des villes comme Moscou, qui, hier encore, étaient des foyers de patriotisme, sont contaminées. La démocratie révolutionnaire paraît incapable de rétablir l’ordre dans le pays et de l’organiser pour la lutte.

« 2° Devons-nous ouvrir à la Russie un nouveau crédit de confiance et lui accorder de nouveaux délais ? — Non ; car, dans les hypothèses les plus favorables, elle ne sera pas en état de remplir pleinement ses obligations d’alliée avant plusieurs mois.

« 3° Tôt ou tard, la paralysie plus ou moins complète de l’effort russe nous contraindra de modifier les solutions que nous avons concertées pour les questions orientales. Le plus tôt sera le mieux : car toute prolongation de la guerre se traduit, à l’égard