Vendredi, 4 mai.
Ce matin, vers dix heures, Albert Thomas arrive, comme d’habitude, à l’ambassade ; je lui communique aussitôt mon télégramme d’hier soir.
Il éclate de colère. Marchant de long en large, il m’accable d’apostrophes et d’invectives...
Mais l’orage est trop violent pour durer.
Après un silence, il traverse deux fois le salon, les bras croisés, les sourcils contractés, remuant les lèvres comme s’il se parlait intérieurement. Puis, d’un ton plus calme, le visage détendu, il me demande :
— Somme toute, que reprochez-vous à ma politique ?
— Je n’éprouve, dis-je, aucune gêne à vous répondre. Vous êtes un esprit de formation socialiste et révolutionnaire ; vous avez, de plus, une sensibilité très vive et l’imagination oratoire. Or, vous arrivez ici dans un milieu tout enflammé, très émouvant, très capiteux. Et vous êtes pris par l’ambiance.
— Vous ne voyez donc pas que je me tiens en bride continuellement.
— Oui ; mais il y a des minutes où vous vous échappez à vous-même. Ainsi, l’autre soir, au Théâtre Michel...
Notre conversation se poursuit ainsi, confiante et libre, nous laissant d’ailleurs l’un et l’autre sur les mêmes positions.
Dans la journée tumultueuse d’hier, le Gouvernement l’a indubitablement emporté sur le Soviet. On me confirme que la garnison de Tsarskoïé-Sélo avait menacé de marcher sur Pétrograd.
Au cours de l’après-midi, les manifestations recommencent.
Tandis que, vers cinq heures, je prends le thé chez Mme P..., sur la Moïka, nous entendons un grand tapage, venant de la Perspective Newsky, puis un crépitement de fusillade. On se bat devant Notre-Dame de Kazan,
Pour rentrer à l’ambassade, je croise des bandes léninistes en armes et qui hurlent : « Vive l’Internationale ! A bas Milioukow ! A bas la guerre ! »
Les collisions sanglantes continuent dans la soirée.
Mais, comme hier, le Soviet prend peur. Il craint de se voir