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formule fameuse : « Ni annexions ni indemnités. » Mais il y a joint une note explicative, qui, dans un style intentionnellement vague et diffus, corrige, autant que possible, les conclusions du manifeste.

Le Soviet a tenu séance toute la nuit, affirmant sa résolution de faire retirer cette note et de rendre désormais Milioukow inoffensif. » C’est le conflit aigu avec le Gouvernement.

Dès le matin, les rues s’animent. Partout, des groupes se forment, des tribunes s’improvisent. Vers deux heures, les manifestations s’aggravent. Devant Notre-Dame de Kazan, une collision se produit entre partisans et adversaires de Milioukow ; ceux-ci l’emportent.

Bientôt, les régiments sortent des casernes ; ils parcourent la ville en vociférant : « A bas Milioukow ! ... A bas la guerre !... »

Le Gouvernement siège en permanence au Palais Marie, fermement décidé, cette fois, à ne plus s’incliner devant la tyrannie des extrémistes. Seul, Kérensky s’est abstenu d’assister à la délibération, s’estimant astreint à cette réserve par son titre de vice-président du Soviet.

Le soir, l’agitation redouble. Autour du Palais Marie, il y a plus de 25 000 hommes en armes et une foule énorme d’ouvriers.

La situation du Gouvernement est critique ; mais sa fermeté ne faiblit pas. Du haut du perron, d’où l’on découvre la Place Marie et la Place Saint-Isaac, Milioukow, le général Kornilow, Rodzianko haranguent courageusement la foule.

Soudain, le bruit se répand que les régiments de Tsarskoïé-Sélo, fidèles au Gouvernement, marchent sur Pétrograd. Le Soviet semble y croire ; car il fait répandre en hâte l’ordre de cesser les manifestations. Que se passera-t-il demain ?

J’ai réfléchi, tout le jour, à l’erreur déplorable que commet Albert Thomas en soutenant Kérensky contre Milioukow. Son obstination dans ce qu’on pourrait appeler appeler « l’illusion révolutionnaire, » me détermine, ce soir, à expédier à Ribot le télégramme suivant :

La gravité des événements qui s’accomplissent et le sentiment de ma responsabilité m’obligent à vous demander de me confirmer, par un ordre direct et exprès, que, selon les instructions de M. Albert Thomas, je dois m’abstenir de vous renseigner.