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passent la majeure partie de leur temps à palabrer dans des soviets ou à manifester dans la rue.

Naturellement, la crise alimentaire ne s’atténue pas, si même elle ne s’aggrave. Et pourtant, il y a dans les gares de Pétrograd 4 000 wagons chargés de farine. Mais les camionneurs refusent de travailler. Alors le Soviet publie un appel éloquent :

Camarades camionneurs !

N’imitez pas l’ignominie de l’ancien régime ! Ne laissez pas vos frères mourir de faim ! Déchargez les wagons !

Les camarades camionneurs répondent unanimement : « Nous ne déchargerons pas les wagons, parce qu’il ne nous plaît pas de les décharger. Nous sommes libres ! »

Lorsque, un jour enfin, il plaît aux camarades camionneurs de décharger les wagons de farine, ce sont les boulangers qui refusent de travailler. Alors, le Soviet publie un appel éloquent :

Camarades boulangers !

N’imitez pas l’ignominie de l’ancien régime ! Ne laissez pas vos frères mourir de faim ! Faites du pain !

Les camarades boulangers répondent unanimement : « Nous ne ferons pas de pain, parce qu’il ne nous plaît pas d’en faire ! Nous sommes libres ! »

Dans les rues, beaucoup d’izvochtchiks refusent de tenir la droite, parce qu’ils sont libres. Mais, comme l’unanimité ne s’est pas réalisée entre eux, il en résulte de continuelles collisions.

La police, qui était la principale, sinon la seule armature de cet immense pays, n’existe plus nulle part ; car la « garde rouge, » sorte de milice municipale, instituée dans quelques grandes villes, n’est qu’un ramassis de déclassés et d’apaches. Et, comme toutes les prisons ont été ouvertes, c’est miracle qu’on ne signale pas plus de violences contre les personnes et les propriétés.

Cependant, les troubles agraires se multiplient, surtout dans les régions de Koursk, de Voronèje, de Tambow et de Saratow.

Un des signes les plus curieux du détraquement général est l’attitude des Soviets, et de leur clientèle, à l’égard des prisonniers de guerre. A Schlusselbourg, les prisonniers allemands sont laissés en liberté dans la ville. A cinq verstes en arrière du