Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur nom, sur la valeur indéniable de leurs talents administratifs ou militaires. Quelques-uns me semblent avoir exécuté avec une remarquable prestesse leur retournement d’habit. Comme disait Norvins en 1814, « je ne savais pas que les serpents fussent aussi prompts à changer de peau... » Il n’est rien de tel qu’une révolution pour nous faire apercevoir le fond de la nature humaine, pour nous découvrir les dessous de la mascarade politique et l’envers du décor social.



Dimanche, 29 avril.

Depuis le début du drame révolutionnaire, il n’est pas de jour qui n’ait été marqué par des cérémonies, des processions, des représentations, des cortèges. C’est une suite ininterrompue de manifestations, triomphales, protestataires, commémoratives, inaugurales, expiatoires, funèbres, etc. L’âme slave s’y complaît et s’y délecte, avec sa sensibilité ardente et vague, avec son instinct profond de la communauté humaine, avec son goût si vif de l’émotion esthétique et pittoresque. Toutes les sociétés et corporations, tous les groupements, politiques, professionnels, religieux, ethniques, sont venus exposer au Soviet leurs doléances et leurs aspirations.

Lundi de Pâques, 16 avril, j’ai croisé, non loin du monastère de Saint-Alexandre Newsky, une longue file de pèlerins qui se rendaient au Palais de Tauride, en psalmodiant. Ils portaient de grands drapeaux rouges sur lesquels on lisait : Christ est ressuscité ! Vive l’Église libre ! ou : Au peuple libre, l’Église libre et démocratique !

Le jardin de Tauride a vu se dérouler aussi des cortèges de Juifs, de musulmans, de bouddhistes, d’ouvriers et d’ouvrières, de paysans et de paysannes, d’instituteurs et d’institutrices, de jeunes apprentis, d’orphelins, de sourds-muets, de sages-femmes ! Il y a même eu un défilé de filles publiques !... O Tolstoï ! Quelle suite à Résurrection !

Aujourd’hui, ce sont les mutilés de la guerre qui, au nombre de plusieurs milliers, vont protester contre les théories pacifistes du Soviet. Une musique militaire les précède. Des bannières écarlates flottent, au premier rang, avec ces inscriptions : Guerre pour la liberté jusqu’à notre dernier souffle ! ou : Gloire à nos morts ! Qu’ils ne soient pas tombés en vain ! ou encore :