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la démocratie russe, s’ils ne renoncent pas ouvertement à leur programme d’annexions et d’indemnités.

— J’avoue, me dit Albert Thomas, que je suis très impressionné par la force de ses arguments et par l’ardeur qu’il a mise à les soutenir...

Puis, reprenant la métaphore dont Cachin se servait naguère, il conclut :

— Nous serons obligés de jeter du lest.

Je lui objecte que la démocratie russe est bien novice, bien ignorante, bien inculte, pour prétendre dicter la loi à la démocratie française, à la démocratie anglaise, à la démocratie italienne, à la démocratie américaine, et que c’est toute la politique de l’Alliance qui est en jeu. Il répète :

— N’importe ! Nous devons jeter du lest !

Mais il est déjà près de huit heures. Nous partons pour l’ambassade d’Angleterre.

Les autres invités sont le prince et la princesse Serge Bélosselky, la princesse Marie Troubetzkoï, M. et Mme Polovtsow, etc...

Albert Thomas se met en frais d’amabilités et il plaît par son animation, par son esprit, par son langage vif et coloré, par son défaut total de pose.

Deux ou trois fois pourtant, j’observe que sa franchise gagnerait à être plus discrète, moins expansive, plus voilée. C’est ainsi qu’il appuie avec trop de complaisance sur son passé révolutionnaire, sur son rôle dans la grève des cheminots en 1911, sur la satisfaction voluptueuse qu’il ressent, à se sentir ici dans une atmosphère d’ouragan populaire. Peut-être ne parle-t-il de la sorte que pour n’avoir pas l’air de renier ses antécédents politiques.



Jeudi, 26 avril.

Milioukow me dit ce matin avec mélancolie :

— Ah ! vos socialistes ne facilitent pas ma tâche !

Puis il me raconte que, devant le Soviet, Kérensky se flatte de les avoir tous convertis à ses idées, même Albert Thomas, et qu’il se croit déjà seul maître de la politique extérieure.

— Ainsi, ajoute-t-il, savez-vous le tour qu’il vient de me jouer ? Il a fait annoncer par la presse, dans la forme d’un « communiqué » officieux, que le Gouvernement provisoire prépare une note aux Puissances alliées pour exposer, d’une