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Il me serre chaleureusement les mains et reprend ;

— Je n’oublierai jamais la dignité de votre attitude et je serai heureux d’y rendre hommage dans le télégramme que je vais adresser aujourd’hui même au Gouvernement de la République.

Puis, après avoir concerté avec moi un programme de visites et de travail, il se retire.



Mardi, 24 avril.

J’ai convié mes collègues d’Angleterre et d’Italie à déjeuner avec Albert Thomas.

Carlotti se déclare entièrement de mon avis, quand j’affirme que nous devons soutenir Milioukow contre Kérensky et que ce serait une faute grave de ne pas opposer au Soviet l’autorité politique et morale des Gouvernements alliés. Je conclus :

— Avec Milioukow et les modérés du Gouvernement provisoire, nous avons une chance encore d’enrayer les progrès de l’anarchie et de maintenir la Russie dans la guerre. Avec Kérensky, c’est le triomphe assuré du Soviet, ce qui veut dire le déchaînement des passions populaires, la destruction de l’armée, la rupture des liens nationaux, la fin de l’État russe. Et, si l’écroulement de la Russie est désormais inévitable, au moins n’y mettons pas la main !

Appuyé par Buchanan, Albert Thomas se déclare catégoriquement pour Kérensky :

— Toute la force de la démocratie russe est dans son élan révolutionnaire. Kérensky seul est capable de fonder, avec le Soviet, un gouvernement digne de notre confiance.



Mercredi 25 avril.

Nous dînons ce soir, Albert Thomas et moi, à l’ambassade d’Angleterre. Mais, dès sept heures et demie, je le vois entrer dans mon cabinet : il vient me raconter une longue conversation qu’il a eue, cet après-midi, avec Kérensky et dont le thème principal a été la révision des « buts de guerre. »

Kérensky a insisté avec énergie sur la nécessité de procéder à cette révision, conformément à la résolution du Soviet ; il estime que les Gouvernements alliés perdront tout crédit devant