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Cet enthousiasme, — je ne me le dissimule pas, — est combattu par un certain nombre de préjugés tenaces et d’objections spécieuses qui conservent toujours une grande force derrière la muraille de Chine dont s’enclôt la petite France continentale.

Des gens graves vous disent : « Laissez-nous tranquilles avec vos noirs et vos bédouins ! L’Afrique n’a pour nous qu’une importance tout à fait secondaire. Notre intérêt est sur le Rhin. C’est vers le Rhin que doivent converger toutes les décisions françaises !... »

Admettons que nous ayons, de ce côté-là les mêmes possibilités d’action, le même avenir qu’en Afrique, — il n’en reste pas moins vrai que nos colonies et plus spécialement nos colonies africaines, sont devenues d’un poids capital pour les décisions françaises sur le Rhin ! Qu’on aille à l’exposition de Marseille : on y verra tout ce que ces colonies, pendant la dernière guerre, ont fourni d’hommes et de denrées à la Métropole. Quinze cent mille soldats, et des millions de tonnes pour le ravitaillement métropolitain, — voilà le bilan. La France ne peut plus se passer de l’Afrique. Cela est vrai dès maintenant. Et il faut encore envisager l’avenir. Par ce temps de folie bolchéviste, il semble assez opportun de songer à se ménager un suprême refuge contre la barbarie. Qui sait si l’Afrique n’offrira pas une retraite à la civilisation occidentale en déroute, ou aux chrétientés fugitives, comme cela se passe aux premiers siècles du christianisme ?...

Mais écartons ces anticipations lugubres ! Ne considérons que le présent. Paul Adam a raison de célébrer l’Afrique. Après tout ce qu’on peut dire à sa louange, il y voit, comme moi-même, une merveilleuse école d’énergie. C’est une joie et un honneur pour moi de constater qu’en ceci sa pensée se confond fraternellement avec la mienne. Si l’Afrique, à la longue, défait et corrompt beaucoup de ceux qui se sont donnés à elle, — pour les corps jeunes et vigoureux, les âmes ardentes, elle est un révulsif de premier ordre. Elle rend la santé morale au civilisé malade de trop de civilisation, — ou plutôt malade des mœurs et des idées vénéneuses élaborées par une fausse civilisation, sans idéal, sans règle et sans âme. Elle développe non seulement