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J’ai donc peur que des formules courantes, qu’il n’a pas eu le temps de vérifier, n’aient, à son insu, influencé Paul Adam, lorsqu’il a dû nous parler de l’islam nigérien et soudanais. Pourtant, c’était un esprit assez rompu aux bonnes méthodes et assez observateur, pour deviner d’instinct et tout de suite de quel côté est la vérité.

Arrivé à Tombouctou « la mystérieuse, » véritable centre de l’Islam saharien, il se sent pris de cette inquiétude dont je parlais tout à l’heure. Il devine que ces Musulmans ne nous aiment pas et que, derrière ces murs aveugles des maisons en pisé, si l’on pense ou trame quelque chose, ce ne peut être que contre nous. Le nègre fétichiste est bien plus sympathique et affectueux pour le Français que le Musulman... Mais le voyageur se rassure en songeant que ces Musulmans de l’Afrique occidentale et équatoriale sont en somme en petit nombre comparés au reste de la population indigène. « Sur cinq millions de sujets que dirige le gouverneur de notre Soudan, un million et demi au plus adhère à l’Islam, et sans même se plier aux règles quelque peu gênantes... » Maintes fois, au cours de son voyage, il a l’occasion de constater combien la formation islamique des noirs est superficielle. Peut-être, au surplus, que, dans son for intérieur il pensait comme Renan : « L’Islam est un progrès pour le nègre. »

En tout cas, il a confiance dans l’action administrative, dans la diplomatie de nos gouverneurs pour ôter toute nocivité à l’Islam africain et pour le conduire vers des fins toutes françaises et tout humaines. Il estime habile que nous préférions encadrer et conduire le mouvement plutôt que de nous laisser déborder et menacer par lui. Et c’est ainsi qu’il applaudit à la fondation par le Gouvernement français d’une médersa, à Tombouctou, — de ce qu’il appelle drôlement « une Sorbonne d’argile blonde. » Ce qui lui parait le fin du fin, c’est d’avoir mis à la tête de cette médersa « un professeur musulman d’Alger, qui apprend à ses élèves notre vœu de concilier les mœurs religieuses de l’Islam avec nos procédés libertaires de civilisation, » — c’est-à-dire l’eau avec le feu.

A cela je réponds : De quoi nous mêlons-nous ? Ne pouvons-nous laisser les Musulmans tranquilles ? Qu’ils bâtissent à leur guise des mosquées et des médersas : cela ne nous regarde pas, sauf le jour où ces mosquées et ces médersas deviendront des