Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

civisme, — et surtout en attachant à chacun de ces grades des avantages matériels, certains et palpables : c’est là le point capital.


Parmi ces groupements ethniques ou religieux de l’Afrique occidentale, il en est un qui ne laisse pas d’inspirer à Paul Adam une certaine inquiétude, qu’il a toutes les peines du monde à calmer : je veux dire les Musulmans.

L’incertitude de l’auteur de Notre Carthage tient à ce qu’il était neuf dans la question, et surtout à ce qu’il n’avait jamais pris contact avec les milieux islamiques. Je ne réponds pas qu’il n’eût point approuvé la formule aujourd’hui à la mode : « La France nation musulmane. » Il y a aussi des nigauds ou des mauvais plaisants qui disent sans sourciller : « La France empire nègre. » Mais non, bonnes gens, mais non ! Tout cela n’a pas le sens commun. C’est aux Musulmans et aux nègres à devenir Français, s’ils y trouvent de l’agrément, et non point à nous à prendre le fez ou le boubou. Car c’est à cela que nous aboutissons avec notre snobisme islamisant.

Les mots d’« Islam, » de « Moghreb », de « Hedjaz » employés à tort et à travers par des gens qui n’ont aucune idée de ce que c’est, ont fini par prendre chez nous un sens quasiment mystique On ne les prononce qu’avec un air béat et content de soi. On s’en gargarise littérairement On me contait à Constantinople que l’ambassadeur Constans, Toulousain plein de malice, répondait à un touriste naïf : « Vous croyez que la Mosquée Y... vous intéressera ? Allons donc ! C’est parce que Z... a écrit un papier dessus ! Oui, si Z... n’avait pas écrit son papier, personne n’irait voir la Mosquée Y... » Ce vieux journaliste avait raison : toute notre islamophilie n’est que littérature, quand ce n’est pas un moyen de parvenir, ou de se faire entretenir. Il est vrai qu’il y a « le mystère » de l’Islam, et que ce « mystère » fascine et fait délirer une foule de gens, mais, n’en doutez point, ce mystère-là c’est celui de la déesse Tanit, telle que Flaubert nous la représenta dans Salammbô. Après avoir promené son héros plein d’émoi religieux, à travers les couloirs du temple et tout un labyrinthe de galeries souterraines, il finit par lui montrer, au fond d’un trou obscur, une pierre noire à peine dégrossie...