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bouées qui jalonnent le chenal sonnent dans le crépuscule, comme um glas. Nous voilà dans la pleine mer. Quelqu’un dit derrière moi : « Quelles sont vos impressions sur l’Amérique ? » Je ne suis pas resté assez longtemps... Dix-sept jours ! Mes impressions, c’est une suite de visions qui ont passé avec une grande rapidité. Taine a dit que pour l’observateur qui visite un pays étranger, les trois premières semaines sont les plus fructueuses. Cela doit être vrai, puisque Taine l’a dit, mais pour l’observateur libre, indépendant, maître de son temps. Et puis, si l’on va aux Etats-Unis, et même si on n’y va pas, il faut savoir l’anglais. Il faut s’entraîner à parler en public, à improviser, c’est ici le pays du speech, du toast, de l’allocution et du discours. Voilà deux impressions très nettes. Une troisième impression c’est que les deux peuples ne se connaissent pas, ne se pénètrent pas, ne se comprennent pas. Qu’il s’agisse de littérature, de théâtre, de politique, la vérité est que l’on ne se connaît pas. Il n’est plus question de découvrir l’Amérique, mais les Américains. Eux aussi devraient chercher à nous découvrir, bien que nous soyons un très vieux peuple, et quels beaux échanges nous pourrions faire de peuple à peuple ! Je ne parle pas du coton, du pétrole, contre des tableaux anciens et des objets d’art ; mais nous pourrions prendre chez eux des leçons d’activité, d’énergie, de volonté, de vitesse, de hardiesse ; chez nous ils pourraient prendre des leçons de proportions, de mesure, de réflexion : ce qu’on gagne en industrie on le perd en art, et ce qu’on gagne en activité, on le perd en pensée. Mais quelle vie celle dont une part serait consacrée à l’action, l’autre à la méditation ! Oui, quels beaux échanges on pourrait faire !


Mercredi, 17 mai.

Quatrième impression : nous sommes un peuple pauvre. Ce soir, en arrivant par le train transatlantique à la gare Saint-Lazare, j’ai appelé un porteur pour prendre ma valise. Mais un camarade lui a crié : « Laisse donc ça... c’est un Français ! » Et le porteur a couru vers les Américains !


MAURICE DONNAT.