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traits de générosité, de sacrifice, de dévouement admirables ; et quand il en parle, on le sent très ému. Après déjeuner, M. et Mme Jusserand nous ont emmenés à Mount Vernon visiter la maison de Washington, en Virginie, aux bords du Potomac. Ce fut une charmante journée : printemps virginien, prairies en fleurs, bois où le dog-wood met ses étoiles blanches, petites maisons à véranda aux couleurs vives, et dans la campagne des nègres travaillant à la terre, tout cela me rappelait les romans qui ont enivré mon enfance. Mount Vernon est un lieu de pèlerinage pour les Américains. Les bateaux qui montent ou descendent le Potomac ne manquent jamais à saluer la maison de Washington et il existe une Mount Vernon Ladies Association qui veille sur cette maison historique. Les Américains regrettent parfois de n’avoir pas de passé, j’entends un passé relatif, ou, plutôt, de n’avoir pas d’ancienneté ; car on a toujours un passé absolu et, d’ancêtre en ancêtre, tout homme descend du premier homme. Mais, dans le domaine du relatif, ce n’est déjà pas rien que de savoir, comme la dame de New-York, que son aïeul s’est jeté à la mer dans un tonneau, après la Révocation de l’Edit de Nantes. Il est vrai qu’au regard des vieilles nations d’Europe, les Etats-Unis sont une jeune nation ; mais de la guerre de l’Indépendance à la dernière guerre, n’ont-ils pas une belle histoire ? Peu importe que leur passé ne s’étende encore que sur quelque cent cinquante ans : l’essentiel c’est qu’il se soit passé quelque chose dans ce passé et qu’on le sache. A ce point de vue, les Américains ne demandent pas le secret. A Washington, dans chaque square un grand homme vous parle de leur passé.

Grand dîner ce soir, à l’Ambassade française.


Mercredi, 3 mai.

A huit heures quinze du matin, départ de Washington Journée de repos dans le Pullmann surchauffé ! Nous remontons vers le Nord ; en passant par Baltimore, Philadelphie, New-York, New-Haven, Providence.

Le soir, à neuf heures, nous arrivons à Boston. Mr Grant, juge et romancier, membre de l’Académie américaine, nous attend à la gare, accompagné par le consul de France. Ces messieurs nous font un accueil empressé et nous conduisent au Copley-Plaza, où un appartement surchauffé (mais ce n’est pas