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lunettes et cela surprend l’Européen. Les dernières statistiques établissent qu’il y a aux États-Unis un automobile pour sept habitants ; cela fait pour l’Union environ quinze millions de voitures. Il n’est donc pas étonnant que les femmes se soient mises à conduire. Un grand nombre d’ouvriers vont à l’usine dans leur automobile, comme les nôtres y vont à bicyclette. Je vois aussi beaucoup de nègres : je sais qu’il y a aux Etats-Unis une question nègre assez préoccupante ; je n’ai pas qualité pour la résoudre ; mais au point de vue du pittoresque, il est incontestable que ces hommes de couleur donnent de la couleur à la ville. Il y a aussi beaucoup de soldats, et je revois avec plaisir les uniformes kaki, les figures roses et rasées sous la casquette plate. Ces soldats, ces officiers, il me semble que je les connais, que je les reconnais. Ces deux grands garçons qui passent là ce sont peut-être les mêmes que j’ai vus jouer à la balle au milieu des Champs-Elysées, quand un gardien de la paix (quel dommage !) est venu interrompre, gentiment d’ailleurs, leur partie. Et cet autre, c’est peut-être celui que j’ai vu le jour de l’armistice, avenue de l’Opéra, embrasser sur les deux joues une jeune femme qui était au bras de son mari : et celui-ci prenait le parti de sourire. Ah ! le sourire indulgent de l’allié ! Mais que vouliez-vous qu’il fit contre dix mille ? Qu’il sourit ! Chers boys, c’est grâce à vous que tant de petites femmes de chez nous ont appris un peu d’anglais, juste ce qui est nécessaire à des transactions sommairement sentimentales. Mais c’était la guerre et le lendemain vous partiez pour l’Argonne.

Nous avons dîné chez M. Bliss, secrétaire d’Etat. Mme Bliss, très américaine, mais aussi très parisienne, me dit que les Français ne voyagent pas assez ; je suis absolument de son avis.


Mardi, 2 mai.

Déjeuner dans l’intimité à l’Ambassade française. Notre ambassadeur, M. Jusserand, est un homme très aimable ; il a organisé notre séjour à Washington de façon que nous ayons quelques heures de liberté et il a écarté de nous, avec la plus gentille sollicitude, les discours et les toasts ; je lui en ai une grande reconnaissance. M. Jusserand est très aimé ici et il aime beaucoup les Américains ; il les connaît, il les comprend. Il sait tout ce qu’ils ont fait pendant la guerre ; il m’a cité des