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Lundi, 1er mai.

Ce matin à dix heures, M. Jusserand vient nous prendre à l’hôtel pour nous conduire à la Maison-Blanche où nous sommes reçus par le Président Harding. Cela s’est passé de la façon la moins cérémonieuse du monde. Sans traverser une longue enfilade de pièces, on arrive pour ainsi dire de plain-pied dans le cabinet du Président, une salle en rotonde, dont les fenêtres donnent sur un jardin, sans tableaux aux murs et sans vaine décoration. Mr Harding et M. Jusserand ont parlé en anglais ; Chevrillon a écouté et compris ; j’ai écouté et je n’ai pas compris. Mr Harding est un homme grand, bâti en force ; la tête est puissante, anglo-romaine si l’on peut dire, et les traits sont beaux, énergiques avec un grand air de bonté, d’humanité. D’ailleurs il est en train de raconter à notre ambassadeur (je l’ai su depuis) qu’il n’aime pas la chasse et que cela lui est désagréable de tuer des bêtes. Nous sommes restés un quart d’heure à écouter parler Mr Harding et M. Jusserand. Puis le Président s’est levé ; et nous avons pris congé.

Déjeuner chez l’ambassadeur de Belgique. Une dame me demande de lui nommer les auteurs nouveaux. Notre jeune littérature l’intéresse vivement. Beaucoup de femmes ici ont lu Batouala. Après déjeuner, nous étions invités à visiter la Bibliothèque Nationale, mais j’ai laissé mon ami Chevrillon y aller tout seul. J’ai un désir irrésistible de me promener, d’errer dans les rues, de lire les noms des hommes de bronze qui se dressent au milieu des squares, anciens présidents, héros des guerres d’Indépendance et de Sécession, Jackson, La Fayette, Rochambeau, Farragut, etc.. Je m’assieds à l’extrémité d’un square d’où je peux surveiller trois ou quatre rues. Un petit nègre tout de rouge habillé et coiffé d’un chapeau de haute forme rouge, conduit un tout petit automobile rouge également, et dans lequel il est assis à un pied du sol. Ce jouet vivant est une réclame pour un fleuriste. Les trottoirs, la chaussée sont si roulants que les petits vendeurs de journaux parcourent la ville sur des patins à roulettes. Des jeunes femmes passent à cheval ; elles montent à califourchon ; elles sont tête nue ; mais pour déjeuner chez elles, je suis sûr qu’elles doivent mettre un chapeau. Beaucoup d’automobiles ; beaucoup de femmes au volant ; parfois, c’est une daine d’un certain âge et d’un certain embonpoint ; parfois c’est une vieille demoiselle à