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dans de grandes cages de verre on voit des personnages en cire qui représentent des scènes de la vie indienne. Rien n’est plus instructif et Chevrillon et moi nous sommes tout à fait heureux Enfin ! nous voyons quelque chose.

Mais nous ne pouvons pas, hélas ! nous attarder ; nous voulons encore visiter le jardin zoologique et nous devons prendre le thé à cinq heures chez le ministre de Suisse. On nous avait promis qu’au jardin zoologique nous verrions les buffles, les derniers buffles ! Mais nous ne les avons pas vus. Au fond du vaste enclos qui leur est réservé et dont ils ont labouré de leurs durs sabots la terre où l’herbe ne pousse plus, nous apercevons vaguement sous un hangar des masses informes. Pas de chance : les buffles sont couchés, comme les coccinelles de la romance ; nous nous consolons en allant visiter les tigres et les ours. Ah ! la charmante chose qu’un jardin zoologique. Et puis nous sommes si contents d’avoir quelques moments de liberté, de plein air, de flânerie ! Tout nous intéresse : les animaux et les promeneurs ; population endimanchée mais qui donne l’impression de gens qui gagnent bien leur vie.

Nous avons pris le thé chez le ministre de Suisse ; nous avons diné chez Mr David Jayne Hill, qui fut ambassadeur des Etats-Unis à Berlin pendant la guerre et dont on connaît les sentiments francophiles. On était à table depuis un quart d’heure à peine, lorsque Mr David Jayne Hill s’est levé, a prononcé quelques paroles très émouvantes et a demandé aux convives de donner une pensée aux soldats américains qui étaient morts pour la France. M. Jusserand lui a répondu, et le dîner a repris son cours. J’imagine que cette simple cérémonie correspondait bien aux vœux du poète américain Alan Seeger, engagé dans la Légion, tombé le 4 juillet, à Belloye, et qui sous ce titre : Champagne 1914-1915, écrivait ces vers que le poète André Rivoire a traduits :


Plutôt que les honneurs d’une foule empressée.
Ce qu’ils réclament c’est, aux soirs insoucieux,
Dans le bruit des repas de fête, une pensée
Et l’hommage attendri d’un toast silencieux...
Buvez !.. Dans le vin d’or où passe un reflet rose,
Laissez plus longuement vos lèvres se poser
En pensant qu’ils sont morts où la grappe est éclose,
Et ce sera pour eux comme un pieux baiser.