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Dîné à Philadelphie, dans un des plus anciens cercles de la ville. Dîner d’hommes. On raconte des histoires ; en anglais, malheureusement. Pourtant Mr Owen Whister a raconté celle-ci en français. « Un soir, à la fin d’un banquet littéraire, Marc Twain, le célèbre humoriste, fut invité à prononcer quelques paroles sur la littérature en général. Marc Twain se leva, prit un air sombre et dit : Ce n’est pas un sujet très gai que vous me demandez de traiter là... car je pense qu’Homère est mort !... Virgile aussi est mort !.. et Dante et Shakespeare et Gœthe !.. et moi-même, ce soir, je ne me sens pas très bien. » Et il se rassit.


Samedi, 29 avril.

Ce matin, Mlle Mac Faden a demandé à l’aînée de ses filles de me réciter une fable de La Fontaine : Le Loup et l’Agneau. La petite (déjà grande) récite avec beaucoup d’intelligence, des nuances justes, des intonations amusantes et juste ce qu’il faut d’accent pour donner un accent nouveau à une fable si connue. Elle prend tour à tour la voix du loup et de l’agneau, c’est-à-dire la voix qu’on imagine que l’agneau et le loup prendraient s’ils récitaient une fable de La Fontaine qui serait précisément Le Loup et l’Agneau. Elle met admirablement en scène cette petite scène ; le loup est à gauche, cela ne fait pas de doute ; l’agneau est à droite ; l’onde pure au milieu. — « Tu la troubles ! reprit cette bête cruelle. » — Querelle de loup, querelle d’Allemand ! Cette jeune Américaine, dans cette fable de chez nous, fait entendre une vérité éternelle ; à 3 000 milles de Château-Thierry, et plus de deux cents ans après la mort du Bonhomme, tout cela est charmant et très émouvant, et j’ai remercié de tout mon cœur la gentille diseuse.

Puis nous sommes allés visiter les fameuses collections de Mr Joseph Widener. Mais, pour bien les voir, il faudrait plus d’une journée et nous restons une heure ! Il nous faut rentrer en ville où nous déjeunons chez des amis d’Owen Whister, et à trois heures nous prenons le train pour Washington.

On respire, c’est une façon de parler, car il fait horriblement chaud dans le Pullmann, et pour faire ouvrir une fenêtre, c’est toute une histoire. L’infortuné voyageur, même s’il étouffe, n’est pas le maître de régler lui-même la ventilation. Il faut appeler l’homme préposé à la surveillance du wagon et qui ne vous dispense que la quantité d’air qu’il juge nécessaire. Je ne sais