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bouteilles d’un bourgogne vénérable. Ainsi, tout le long de notre voyage, dans diverses maisons, nous bûmes les dernières bouteilles, ou plutôt les avant-dernières, pour ne pas décourager les Français qui viendront après nous.


Vendredi, 28 avril.

Je suis l’hôte de Mr Mac Faden, qui me reçoit dans sa maison de campagne à vingt kilomètres de Philadelphie. Mr Mac Faden est un des rois du coton. Depuis trois mois, il travaille tellement que son médecin lui a ordonné... une journée de repos ! Ce matin, Mme Mac Faden m’a fait faire le tour du propriétaire ; elle a fait construire dans son parc un élégant bâtiment et désire savoir s’il est bien dans le style d’une ferme française. Elle me demande, si elle fait des fautes de français, de les lui signaler ; elle me le demande avec une insistance qui prouve qu’elle sait bien qu’elle n’en fait pas. Elle a trois enfants, deux filles et un garçon, sous la garde d’une institutrice française. Elle me dit : « J’ai pris un arrangement avec mon petit garçon ; je dois l’embrasser cinquante fois par jour et si, un jour, je ne l’ai embrassé que vingt-cinq fois parce que j’étais occupée, alors, le lendemain, je dois l’embrasser soixante-quinze fois. »

L’après-midi, nous avons visité le collège de Bryn Mawr. Rien ne peut donner une idée de la fraîcheur, de la grâce, de l’élégance, du confort de ce collège de jeunes filles. Là encore tout est disposé pour l’étude et les jeux. De grands bâtiments, des salles claires. Chaque étudiante a sa chambre qu’elle arrange à sa guise ; des fleurs partout. Dans la bibliothèque, une jeune fille studieuse plongée dans la lecture ne lève même pas les yeux quand nous passons près d’elle avec ses compagnes. Elle a attaché à sa chaise un écriteau avec une indication de ce genre : « Laissez-moi tranquille, ne me dérangez pas. » Elle aurait pu écrire plus simplement : « Please ». Et on la laisse tranquille ; on ne la dérange pas. Nous rencontrons là quelques Françaises ; entre autres une ancienne élève de Sèvres, qui me fait une scène à cause d’un personnage des Éclaireuses que les Sévriennes n’ont pas aimé. Les jeunes filles de Bryn Mawr vont jouer dans quelques jours les Précieuses ridicules. Je cause avec une miss blonde, charmante, qui doit remplir le rôle de Gorgibus. Toutes sont gaies, bien portantes, heureuses. On a l’impression qu’elles vivent là un temps, dont le souvenir parfumera leur existence.