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auteur de Pentecost of Calamity. Mr Owen Whister est de ceux qui pensent que la guerre a fini trop tôt. Dans la préface qu’il a écrite pour le livre de Chevrillon, les Américains à Brest, il termine par ces mots : « L’armistice vint et pour la grande majorité de nos boys ce fut une immense déception. On les arrêtait dans leur entreprise, ils se sentaient dupés. Au fond de leur cœur, ils savaient bien que leur tâche n’était pas accomplie. Travail, femmes, enfants, ils avaient tout quitté pour une terre étrangère à 3 000 milles de chez eux (et souvent c’était presque le double), ils allaient mener l’entreprise jusqu’au bout et, sur le seuil de l’accomplissement, la besogne leur était tout à coup retirée. Plus que tout c’est cette déception, c’est cette sensation du brusque arrêt en plein élan de dévouement qui se traduit sous leur grondante réponse, quand on leur demande s’ils accepteraient de retourner en France pour une guerre : « Plus jamais ! »

Mais l’auteur ajoute : « Mais nous savons bien qu’ils repartiraient ! »

Cette note-là nous l’avons entendue plus d’une fois depuis notre arrivée aux Etats-Unis. Qu’il y ait eu dans ce pays la déception de n’avoir pu donner toute sa mesure, c’est vraisemblable. Quand on est décidé à faire un sacrifice, on en veut aux circonstances qui n’ont pas permis de faire ce sacrifice entier. L’élan pour une juste cause est un mouvement si beau qu’on garde au fond du cœur un sourd regret, une rancune obscure d’avoir été arrêté dans cet élan. Cela pourrait expliquer chez le peuple américain un certain désintéressement, pour ne pas dire plus, de la politique française et du problème des réparations. Qu’une presse malveillante profite de ce désintéressement pour poursuivre une campagne tendancieuse, cela n’a rien de surprenant. De tels sentiments, nous ne les avons pas constatés dans les milieux où nous avons été reçus. A Philadelphie comme à New-York, nous n’avons vu que des amis de la France. Le soir de notre arrivée ici, nous avons dîné chez Mme Marcoë qui est venue à Paris pendant la guerre et a fait preuve d’un dévouement et d’une générosité admirables. Pour nous fêter, cette aimable femme avait fait sortir de sa cave les vieilles bouteilles, es dernières ! Car, depuis la prohibition, dans les maisons loyalement américaines, on n’achète plus de vins. Déjà à New-York, chez l’excellent Mr Sloane, on nous avait servi les dernières