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vint à la physique. Il ne devait plus la quitter. Son coup d’essai fut un coup de maitre. Le point de départ en fut une expérience déjà ancienne, mais restée inexpliquée sur les phénomènes présentés par une goutte de mercure plongée dans l’eau acidulée. Vient-on à toucher une telle goutte avec un fil de fer, elle subit une série de contractions spasmodiques qui rappellent les secousses du tétanos. Dès l’Ecole normale, Lippmann avait su trouver la cause de ces apparences qui avait échappé à ses prédécesseurs : elles s’expliquent par les modifications de la tension superficielle sous l’influence des forces électriques.

D’un coup d’œil, il avait reconnu l’existence d’un chapitre nouveau de la physique, auquel il donna le nom d’électrocapillarité. Il sut l’explorer avec une maîtrise surprenante. Il l’envisagea sous son double aspect théorique et expérimental, avec une telle sûreté, que les progrès de la science depuis cinquante ans n’y ont rien ajouté d’essentiel. Il résuma l’ensemble de ses recherches dans une thèse de doctorat qu’il soutint en Sorbonne, le 24 juillet 1875, et qui fit sensation. Lippmann s’y révélait de la race des maîtres.

Le jeune savant avait créé un instrument, qui, dans le domaine si profondément exploré depuis de l’électricité, est resté inégalable par sa prodigieuse sensibilité, et sert encore journellement aux physiologistes, aux chimistes, aux médecins : l’électromètre capillaire.

D’une application pratique moins étendue, mais d’une conception non moins profonde, est le moteur capillaire inventé par lui en même temps. Il présente ce caractère singulier, en face de tant de machines mécaniques, thermiques, électriques, enfantées par l’imagination des hommes, de former le représentant, unique jusqu’ici, d’une classe nouvelle de moteurs, dont la puissance ne dépend pas directement des volumes ou des masses des pièces qui les composent, mais de leurs surfaces. Par ce caractère, il se rapproche de quelques-uns des mécanismes les plus parfaits que la nature vivante, cette suprême maîtresse, propose à notre imitation, soit dans les animaux, soit dans les végétaux. Seul à ce jour, Lippmann a su entrer dans cette voie. C’est ma conviction que si cette découverte, trop en avance sur son temps, n’a pas trouvé l’appréciation qu’elle méritait, elle est appelée à grandir encore le nom de son auteur. N’est-ce