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Là est l’inquiétude de l’Europe ; du rapprochement de telles doctrines avec les faits que citait à la tribune, dans son discours du 22 juin, M. André Lefèvre [1], il nait une triple certitude : les extrémistes russes, s’ils sentent leur pouvoir menacé, peuvent chercher dans la guerre un suprême moyen de révolution et de destruction universelle ; il existe en Allemagne une organisation militaire assez solidement préparée pour leur prêter main forte ; et enfin la conclusion : la solidarité des vainqueurs de la Grande Guerre n’a jamais été plus nécessaire.

Lénine est très malade, paralysé d’un côté par le projectile que logea, dans sa colonne vertébrale, le revolver d’une révolutionnaire russe. Son rôle politique est terminé. De cet homme qui fut, pour la Russie, un maître plus autocrate qu’Ivan le Terrible ou Nicolas Ier, il émanait une autorité capable d’arrêter les querelles et de prévenir les rivalités. Lui disparu, la Russie révolutionnaire ne va-t-elle pas entrer dans une période pire encore de confusion et de batailles ? L’heure des Barras et des Tallien est-elle proche, ou celle des Bonaparte ? Il s’est formé, par l’assassinat, le pillage et la concussion, une bourgeoisie révolutionnaire qui estime que « le temps des troubles » a assez duré, puisqu’elle s’y est enrichie, et que le moment est venu de consolider les résultats acquis. Les sévices que le Gouvernement des Soviets exerce contre l’Église orthodoxe, en alarmant les consciences, apportent un nouvel élément de désordre et de haine. Dans leur détresse financière, les commissaires du peuple ont prétendu s’emparer des richesses des églises ; le patriarche de Moscou a consenti à les mettre à leur disposition pour secourir les affamés, à la seule exception des vases et objets sacrés servant au culte proprement dit ; tant de bon gré que de force, les bolchévistes ont ainsi recueilli des métaux et pierres précieuses pour une valeur d’environ un milliard de francs. Ils ont profité de certaines résistances à leurs exigences pour continuer plus ouvertement la lutte qu’ils ont toujours menée contre les églises et les religions : les emprisonnements d’évêques et de prêtres, les procès, les exécutions se multiplient. L’Église russe souffre persécution pour la justice. Pour frapper à la tête, les bolchévistes ont voulu atteindre Mgr Tikhon, le prélat aimé et respecté du peuple pour ses vertus et son courage, que le Synode de Moscou a élu patriarche en octobre 1917 ; son abdication jetterait le trouble dans l’Église russe et l’on cherche à la lui arracher ; prévenu de crime

  1. Dans la discussion sur la durée du service militaire. Les dix-huit mois demandés par le Gouvernement ont été votés par 327 voix contre 236.