Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préparation du programme. Sous la présidence d’honneur de M. van Karnebeck, ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, la Conférence de La Haye est, à certains égards, un modèle : point de mise en scène, peu de journalistes, beaucoup de compétences et de travail ; il y a des chances pour que, ne faisant pas de bruit, elle fasse quelque bien. Le Gouvernement britannique, instruit par l’expérience de Gênes, admet maintenant les précautions et les garanties que le cabinet de Paris avait depuis longtemps recommandées comme nécessaires dans toute négociation avec les bolchévistes ; tous les États participant à la Conférence sont d’accord sur une méthode de travail que, naguère, on reprochait à la seule France comme de nature à rendre impossible le succès des négociations. On ne posera aux représentants des Soviets que des questions précises sur lesquelles l’unanimité se sera établie dans les commissions ; La Haye ne sera pas, comme Gênes, une tribune d’où les hommes qui achèvent de tuer le peuple russe pourront vanter les bienfaits de leurs doctrines. Les délégués assemblés à La Haye feront œuvre utile s’ils réunissent une documentation précise sur l’état de la Russie, mais les pourparlers avec les bolchévistes sont condamnés, par leur faute, à n’aboutir à aucun résultat important ; ce sera un résultat que de le démontrer par une expérience loyale.

L’échec de toute entente avec les Gouvernements « bourgeois » est dans la logique de l’évolution actuelle de la révolution russe. Lénine avait, sous la pression de la faim, laissé fléchir la rigidité des principes et fait prévoir une entente avec le capitalisme européen. Ces perspectives nouvelles s’évanouirent à Gênes. Les extrémistes reprirent le dessus ; leur influence est actuellement prépondérante et ils ont obtenu le rejet du traité de commerce négocié à Gênes entre M. Schanzer et M. Tchitchérine. Du coup, celui-ci est resté en panne à Berlin et ne paraît pas pressé de rentrer à Moscou. Les extrémistes au pouvoir entendent jeter, comme un défi à la face du socialisme européen, la tête des « socialistes révolutionnaires » qu’ils jugent actuellement à Moscou ; et l’on peut craindre que les appels des défenseurs belges ou allemands à l’indignation du prolétariat universel ne sauvent pas les victimes. Les maîtres actuels de la Russie ne croient qu’à la violence. Trotzky n’écrivait-il pas à l’Humanité (22 mai) une lettre que l’on peut résumer ainsi : Il faut se servir de l’antimilitarisme pour gagner les paysans français qui répugnent à toutes nos autres idées. Pour nous, il serait criminel. Cultivons la violence. Le pacifisme n’est qu’une « idéologie démocratique bourgeoise. »