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C’est aussi du conflit des forces historiques que meurt Walter Rathenau, assassiné à Berlin le 24. Avant lui, depuis l’armistice, plus de quatre cents personnes sont tombées sous les coups de cette Sainte-Vehme nationaliste et pangermaniste à laquelle appartiennent certainement les meurtriers encore inconnus du ministre des Affaires étrangères allemand. La personnalité de la victime révèle la grandeur du drame. La vieille Allemagne, façonnée par la Prusse et la dynastie prussienne, féodale, militariste, pangermaniste, monarchiste, qui a conduit l’Empire au désastre, à la révolution et à la ruine, n’accepte ni sa défaite, ni sa déchéance ; elle unit dans une même haine la France victorieuse et la nouvelle Allemagne, maîtresse du pouvoir. Rathenau, industriel, juif, démocrate comme Erzberger, catholique et socialisant, symbolisait, aux yeux des hobereaux, cette nouvelle Allemagne. Il soutenait timidement que le Reich devait s’efforcer de tenir ses engagements ; comment le lui auraient-ils pardonné ? Le discours d’Hellferich, d’une violence calculée, sonne comme une condamnation à mort : « c’est vous l’assassin, » lui cria le lendemain Bernstein. L’assassinat de Rathenau ouvre, dans l’histoire intérieure de l’Allemagne, une crise qui sera peut-être décisive ; il pose, devant la politique française, le problème allemand dans toute son ampleur et sa vérité.

Les techniciens sont, par définition, des hommes compétents dans un domaine déterminé et strictement limité ; il n’est point bon qu’ils aspirent à en sortir. Ainsi advint-il des banquiers réunis à Paris, sur l’initiative de la Commission des réparations ; ils devaient donner leur avis sur les conditions dans lesquelles l’Allemagne pourrait conclure un emprunt extérieur, ou une série d’emprunts, pour commencer à s’acquitter des milliards qu’elle doit, non comme vaincue, mais comme responsable de l’agression et des destructions accomplies par ses armées. Il s’agissait d’établir une méthode et de donner à l’Allemagne le moyen de prouver sa volonté de payer. Les banquiers demandèrent et obtinrent de la Commission des réparations, malgré l’opposition du délégué français, un élargissement de leur compétence dont ils profitèrent pour émettre un avis général sur le problème des réparations et déclarer qu’aucun emprunt ne leur paraissait possible pour l’Allemagne, tant que pèserait sur son crédit le fardeau d’une dette de réparations de 132 milliards. Les banquiers se sont défendus de méconnaître les droits des créanciers de l’Allemagne ouïes conditions sans lesquelles aucune réduction ne pourrait être envisagée, M. Pierpont Morgan, avec des paroles très amicales, a déclaré à la