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lumineux, plus splendide que le sein de marbre des statues, semble encore se soulever... O splendeur d’Athéné, ô Bakkhos, et toi Cypris-Aphrodite ! Jamais jusqu’à ce jour je n’avais connu la beauté. Je la vois et, au même instant, je la perds, le destin me l’arrache. » La déploration s’apaise par moments : Prométhée se souvient de sa tâche et refuse de se laisser attendrir. La déploration reprend ; et Prométhée lui-même est gagné par le chagrin qui l’environne.

La foule des hommes demeure éperdue autour des cadavres des dieux, autour de leurs fantômes et de leur souvenir. Elle se demande qui désormais implorer. Prométhée la secoue : il n’y aura personne à implorer ; il y aura des dieux pourtant. Quels dieux ? Les hommes ! C’est la promesse de tous les divers tentateurs et meneurs décevants. Non, la foule des hommes se récrie : « Nous, des dieux ? Hélas ! comment deviendrions-nous des dieux ? Dérision ! Va, Titan, si Zeus ne le soutient, l’homme est le rêve d’une ombre. Tu as beau vouloir nous le grandir : faible, timide, misérable, je connais mon âme dans mon sein. » Prométhée, le sauveur des hommes, est par les hommes accusé de ruse et de mensonge : il expie son audacieuse bonté.

En dépit de tout, méconnu, injurié, il s’établit roi de la terre, sous le ciel vide, et bâtit le vaste palais des hommes. Il commet, parmi tant d’imprudences, l’erreur des positivistes et croit séparer la terre et le ciel. Il croit aussi, par une installation meilleure, changer le sort de l’humanité, qui reste la même et garde ses instincts, le cœur de son cœur, son immuable nature. Il a brûlé les corps des dieux et ne s’aperçoit pas que l’esprit des dieux dure en ce monde après l’anéantissement des corps. Il proclame « le règne de l’homme. » — Jactance ! réplique le centaure Chiron : « les hommes ne reverront point ni Arès, ni Cypris, ni Hermès, ni Bakkhos au beau thyrse de feuilles ; mais quelle épée ou quel dard tuera la divinité ? » Si Prométhée ne consent pas que l’esprit des dieux survive à leur apparence corporelle, eh ! qu’il regarde : légères comme un essaim d’abeilles, les femmes viennent au bûcher sur lequel les dieux ont été consumés, y attachent des rameaux de lierre et des bandelettes de laine, y déposent des boucles de leurs chevelures ; elles embrassent l’autel « et jamais leur bouche n’avait mis dans un baiser terrestre tant de ferveur et d’amour ». On n’aime pas le néant : les dieux vers qui tant d’amour monte ne sont pas anéantis.

Et, au surplus, voici Zeus. Il explique à Prométhée la différence des dieux et de leur image humaine : Prométhée n’a précipité dans