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un instant, à l’arrivée du vaillant Héraklès et quand ce vigoureux garçon traite Héphaïstos rudement : « Quoi ! penses-tu me faire peur ? Sache-le, roi branlant des deux pieds, forgeron toujours couvert de suie, je ne crains pas plus ton assaut que je ne craindrais une rencontre avec celle dont tu te dis l’époux, la déesse au beau ceste d’or, la suave Aphrodite marine ! » Cela est bon. Mais Aphrodite elle-même ne paraît pas : je la regrette ! On nous parle d’elle, un peu. Quand Prométhée fabrique l’enfant qui sera l’homme des nouveaux jours, le bon Héraklès lui conseille de ne pas oublier, parmi les dieux qu’il faut rendre amis de cet enfant, la suave Cypris. Mais l’enfant, dès que Prométhée lui a donné la vie et la précocité, s’il mentionne, en ses tristes discours, la déesse « qui a pour nom Cypris, la grande nymphe, la tentatrice nue et qui aime les sourires, » c’est pour la confondre avec Perséphone, la reine qui gouverne les Mânes. Hélas ! hélas ! Iô, io !...

Il y a, d’un bout à l’autre de la Nef, une gravité chagrine. Je ne crois pas que ce ton perpétuellement morose fût nécessaire, dans un poème où est enjeu la destinée humaine, drame qui admet d’heureux intermèdes.

La tristesse n’est pas à la conclusion de l’ouvrage : elle y est partout répandue. Et, d’ailleurs, si je dis la conclusion, l’ouvrage ne se déroule pas d’un épisode au suivant comme d’un argument à ses conséquences logiques. L’auteur développe une histoire fertile en péripéties désordonnées qui sont les efforts de Prométhée au service de l’humanité malheureuse : autant d’efforts et autant d’échecs. Prométhée, s’il a vaincu les dieux, rencontre la Fatalité ; il rencontre même la bêtise, la méfiance et la malveillance de l’humanité qu’il s’est promis de sauver, qui le méconnaît. Le nombre des péripéties, que l’auteur n’a pas voulu ranger en logicien, — car l’histoire de l’humanité ne se réduit pas à un théorème, — augmente la difficulté d’une lecture dont j’ai indiqué les ennuis et dont voici les beautés.

Et dont voici quelques beautés. Un chapitre, intitulé : « Le bûcher divin, » me semble admirable. Prométhée a lancé l’épée contre l’Olympe ; et l’Olympe s’écroule. C’est la victoire de Prométhée ; c’est la délivrance de l’humanité que tourmentait le despotisme des dieux. Alors, débouchant des vallées, des ravins et des gorges de la montagne, la foule des hommes arrive. Prométhée s’attend qu’elle chante la liberté : elle est épouvantée. Il lui crie : « Les dieux sont morts ! les dieux sont morts ! » Il essaye de rassurer cette foule : « Les dieux sont morts. N’entendez-vous pas la grande voix, celle de la Terre, sans doute, qui l’annonce à travers les airs ? Le char de la foudre est