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LA VIE D’UN SAVANT
GABRIEL LIPPMANN

C’est par un bref message de télégraphie sans fil que l’on apprit le 12 juillet dernier, — il va y avoir un an, — la mort de Gabriel Lippmann à bord du paquebot la France, qui le ramenait au Havre, au retour de la mission qu’il venait d’accomplir en Amérique aux côtés du maréchal Fayolle.

Une surprise attristée accueillit la nouvelle fatale, non seulement dans le monde savant, qui s’enorgueillissait de lui comme d’un de ses plus illustres représentants, mais encore dans le grand public. Les principaux organes de la presse publièrent son portrait, sa biographie, l’analyse de ses travaux. C’est qu’en effet, à côté de recherches ingénieuses ou profondes, mais accessibles aux seuls initiés, Lippmann avait eu la fortune d’attacher son nom à une de ces découvertes dont la gloire se transmet d’âge en âge : il avait su trouver la clef du problème si longtemps cherché de la photographie des couleurs.

Le sentiment de la grandeur de la perte que venait de faire la science française, se doublait de celui de sa soudaineté. Bien que Lippmann eût dépassé l’âge de soixante et quinze ans, il était resté étonnamment jeune d’allures. Au Canada comme aux États-Unis, parmi les populations de vieille souche française comme parmi celles de race anglaise, parlant les deux langues avec la même facilité, il avait émerveillé ses compagnons et ses hôtes. Le voyage avait été facile et heureux. A la veille de se rembarquer, il fut victime d’un accident banal, une intoxication alimentaire, suite des chaleurs excessives de la saison. Le rein cessa de fonctionner. L’urée passa dans le sang. Le cœur fut atteint à son tour et, malgré les soins de sa femme qui, veillant sur lui nuit et jour, lutta avec un stoïque courage jusqu’à la dernière minute, il s’éteignit doucement en mer.