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Mais il s’agit de problèmes formidables et de la lutte que soutient Prométhée contre les dieux ? Si Prométhée avait vaincu les dieux, le sort de l’humanité serait splendide ! ou, si les dieux avaient réduit Prométhée à l’obéissance, l’humanité se calmerait dans une meilleure sagesse !... Je l’avoue. Et j’avoue même, si l’on veut, qu’une telle aventure, en quatre cent cinquante-sept pages, est strictement résumée.

Il était facile pourtant d’alléger cet énorme récit. Prométhée, Atlas, les titans et les dieux, les argonautes et les centaures, multiplient les mots de colère, d’injure et d’imprécation... « O cœur de fer, hélas, hélas ! O dieu né pour la ruine du monde ! Rien ne pourra-t-il t’émouvoir ? Ne dépouilleras-tu jamais cet orgueil amer et implacable ? Ombrageux, le sourcil froncé, le regard furtif et méfiant, tu souffles vers moi ta colère, pareil au taureau qui mugit, en frappant la terre de son pied !... O Tartare ! ô gouffre, ô nuit sans bornes ! Précipice où vont crouler les dieux !... Ha, ha, ha ! jactance stupide !... lô, iô !... Ho ! ho ! ho ! Titan ! Prométhée ! Ho ! ho ! ho ! ho ! Prométhée ! Ho ! ho !... Haho ! haho !... » Etc., etc. C’est drôle, quelque temps, comme une imitation d’Homère ou d’Eschyle, comme une parodie héroïque, infiniment respectueuse d’ailleurs, crédule même. Et puis, il y en a trop ; il y en a, de ce bavardage grandiose, éparpillé dans le volume, des pages et des pages.

Une autre cause de quelque fatigue est toute la mythologie de la Nef, la quantité de ses dieux, et de ses titans, et de ses puissances ouraniennes ou infernales, parmi lesquels s’embrouille notre petite érudition. A chaque instant, nous avons à nous rappeler les anecdotes de Bellérophon, de Chiron, des géants Arimaspes, les généalogies d’Ouranos, de Kronos et de Gaïa. Or, la mythologie contient l’immense rêverie d’autrefois ; elle est bien digne de notre attention. Seulement, nous l’avons reçue par l’intermédiaire de nations diverses, d’époques différentes, qui l’ont modifiée ; nous l’avons reçue de poètes qui, les derniers, la prenaient pour un joli ornement de leurs poèmes, voire pour un sujet de plaisanterie. Nous ne retournons pas sans peine à la vivante mythologie, à ses véritables symboles de pensée, à ses combats de sanglante dialectique.

Enfin, je crois qu’il fallait, — Zeus, Ouranos, les Titans et Gaïa me pardonneront ! — égayer ce volumineux poème. Est-ce qu’il n’y a, dans la mythologie, aucune facétie ? Tant et si bien qu’à l’usage de la jeunesse on l’expurge ! M. Élémir Bourges est d’une sévérité impérieuse. Il ne sourit jamais. Tout au plus commence-t-il de sourire