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pas, font nœuds sur nœuds, jusqu’à une catastrophe qui prouve qu’à de telles aventures et à de telles gens seule avait le droit de toucher Sa Majesté suprême le Hasard.

Les romans de M. Élémir Bourges sont, comme on dit à présent, des romans romanesques et, par là même, fort amusants. L’auteur a beaucoup d’imagination, très vive, magnifique et, cependant, surveillée. Il invente conformément à une vérité qu’il s’est assurée par les plus diligents travaux. Il obtient, par un labeur qui ne l’a point accablé, une sorte de fantaisie très savante, d’un goût parfait.

Puis, ses ouvrages contiennent une philosophie. Selon l’aphorisme d’Aristote, ce conteur est un philosophe : ses contes signifient sa pensée. Non que les anecdotes de ses romans soient présentées comme des symboles ou allégories. Mais le choix des anecdotes, l’activité des personnages et, par endroits, leurs propos, généralement leurs crimes et leurs malheurs, indiquent l’opinion de l’auteur touchant la vie, la nature et la destinée de l’homme. Une opinion qui n’est point hésitante ni douce, une rude opinion de pessimiste résolu. M. Élémir Bourges ne voit l’humanité ni intelligente, ni bonne ; il ne lui prête seulement pas une indolence qui, de temps en temps, la repose, ni un scepticisme provisoire qui l’empêche de trop méfaire. Il la montre comme endiablée de fureur néfaste.

C’est qu’il a pris, pour ses héros, des personnages d’une extrême violence et lésa jetés dans le drame ? Oui ! Mais il veut qu’on aperçoive l’analogie de ses héros, même singuliers, et de l’humanité ordinaire, l’analogie des catastrophes qu’il invente, même singulières, et du train ordinaire de la vie. Ses catastrophes et ses héros sont des échantillons démonstratifs et dans lesquels, par un excès de visibilité, apparaissent mieux, d’une manière plus frappante, les calamités et les vices de la vie et de l’homme, la violence universelle.

Les romans de M. Élémir Bourges, on les définirait de grands poèmes désespérés : le talent de l’auteur est le seul divertissement de son désespoir ; les belles phrases donnent le change à sa douteur.

Les oiseaux s’envolent et les fleurs tombent nous mènent à ce dénouement. Tout le monde est mort, ou à peu près. Il reste un vieil homme de science, Vassili Manès ; un jeune homme, plein de génie, perdu de crimes, le grand-duc Floris ; et le frère de ce grand-duc, l’archevêque José-Maria : enfin, la pensée, l’action, la croyance. Et Vassili Manès, la pensée, dit à Floris : « Le proverbe espagnol a raison, monseigneur, Todo es nada, tout n’est rien... Toujours inquiets, en proie à la peur, aux préjugés, à l’ignorance, au mensonge,