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dans l’âme, une abondance de vie et qui n’est pas claire et distincte en ses divers éléments ; il y a, dans l’âme, une spontanéité confuse.

Il y a, dans l’âme, plus de choses que n’en découvre l’analyste le plus méticuleux. Pour les découvrir, M. Élémir Bourges a dû recourir au « miroir magique des poètes. » Approuvons-le : la découverte ou, comme on disait, l’invention de l’âme est une œuvre de poésie.

La psychologie de la spontanéité ou de l’absurdité, — que j’oppose à la psychologie de la raison, — risquerait d’aller trop loin toute seule : M. Élémir Bourges ne l’a point tant émancipée. Son goût très vif pour les poètes anglais du temps d’Elisabeth et de Jacques ne le détourne pas de notre usage au point qu’il ne tempère une psychologie par l’autre.

En outre, il a bien vu que la psychologie de la spontanéité ou de l’absurdité ne s’applique pas à tous les hommes également ni à tous les moments de leur destinée. On raconte qu’à l’époque de la Renaissance il y eut, en France même, une fougue et un déchaînement de passions très violent. Je crois que Shakspeare eut sous les yeux un grand nombre de gaillards tels que je suis content de n’en avoir pas rencontré beaucoup. C’est possible. Et ces gaillards, primesautiers, auraient vite fait de dérouter nos analystes les plus délicats. M. Élémir Bourges, conséquemment, choisit, pour les peindre, les rudes époques d’énergie ou de fureur. Le Crépuscule des dieux commence au moment où la guerre vient d’éclater entre la Prusse et les États confédérés ; Sous la hache est un épisode des guerres de Vendée ; les Oiseaux s’envolent et les fleurs tombent, nous mène d’abord au cimetière du Père Lachaise, pendant la Commune ; et la Nef nous mêle à une querelle de Prométhée avec les dieux de l’Olympe. En de telles circonstances, le cœur a des raisons formidables et un extraordinaire entrain.

Les personnages de M. Élémir Bourges sont de terribles héros, que ne retardent ni le souci de la morale courante, ni la crainte de la gendarmerie. Mais ils commettent tous les crimes ou délits attrayants, qui favorisent leurs desseins, contentent leur colère ou divertissent leur ennui. Le meurtre, l’inceste, le vol, etc. Une superbe audace, une barbarie incroyable, une habileté merveilleuse, et toute la chance possible, ou des calamités dignes de leur vertu. Auprès d’eux. et la plupart du temps leurs victimes, de belles femmes et charmantes : quelques-unes, inquiétantes comme la Belcredi, courtisane que l’on n’a point regardée sans péril ; et d’autres, les sœurs adorables de Desdémone, de Cordélia ou d’Ophélie. Les intrigues se nouent, ne se dénouent