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des dieux est dédié « à Henri Signoret ; » Sous la hache, « à Paul Bourget ; » Les Oiseaux s’envolent et les fleurs tombent, « à mon cher maître Théodore de Banville ; » le premier essai de la Nef, « à Paul et Victor Margueritte ; » et l’édition définitive de la Nef, « à la mémoire de ma chère fille Sita. » Ce n’est que l’indication furtive de quelques amitiés et d’une tendresse.

D’autres aveux ? En tête du Crépuscule des dieux, l’auteur inscrit quatorze vers d’Agrippa d’Aubigné, lequel répond à qui voudrait lui reprocher de combler son poème de meurtre et de sang, de rage, trahison, carnage et horreur abondante : ces mots « sont les vocables d’art de ce que j’entreprends ; » à de plus gais, les délices de l’amour, les ris, les jeux et toutes gentillesses…

Ce siècle, autre en ses mœurs, demande un autre style ;
Cueillons des fruits amers desquels il est fertile.

Le roman des Oiseaux et des Fleurs emprunte son épigraphe au Misopogon de l’empereur Julien, qui est un livre qu’on ne lit plus beaucoup. « Bien moins habile que le célèbre Isménias, mais comme lui, indépendant de la faveur des hommes, je me promets qu’à son exemple je chanterai toujours, selon le dicton, ἐμοὶ καὶ ταῖς Μούσαις, — pour moi et pour les Muses. » Il me semble que cette épigraphe d’un roman conviendrait à l’œuvre entière de M. Élémir Bourges ; et, pareillement, l’épigraphe de la Nef, tirée d’Aristote : φιλόμυθος, ὁ φιλόσοφος πῶς ἔστιν, où l’on voit que le conteur et le philosophe ont des analogies, comme en ont le mythe et la vérité.

Je ne crois pas que M. Élémir Bourges ait écrit je ou moi une autre fois que pour annoncer les Oiseaux s’envolent et les fleurs tombent ; il avertit de son projet son lecteur : « Je me suis fait, en ce roman, l’écolier des grands poètes anglais du temps d’Elisabeth et de Jacques, et du plus grand d’entre eux, Shakspeare ; quelque présomption qu’il y ait à se dire l’écolier d’un tel maître. Nos récents chefs-d’œuvre, en effet, avec leur scrupule de nature), leur minutieuse copie des réalités journalières, nous ont si bien rapetissé et déformé l’homme, que j’ai été contraint de recourir à ce miroir magique des poètes, pour le revoir dans son héroïsme, sa grandeur, sa vérité. Que le lecteur attribue donc ce qu’il y a de bon dans ce livre à la souveraine influence de ces maîtres des pleurs et du rire : Webster, Ben Jonson, Ford, Beaumont et Fletcher, Shakspeare ; les fautes seules sont de moi. » Ces quelques lignes sont tout ce que M. Élémir Bourges daigne révéler de lui-même et de son esthétique.