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différence entre la théorie et la pratique.) Eh bien ! ce « réalisme » — d’un faux à crier ! — fut rendu plein d’horreur, par comparaison, lorsque Victor Hugo, après avoir souri du « patagon » sous lequel avaient disparu couleur, rythme, métrique, phonétique, etc., nous récita les vers que l’on sait, avec la vraie vérité, la vraie simplicité du génie. Ce fut une inoubliable leçon.

On ne le saurait trop répéter : il n’y a pas deux sortes d’art au théâtre ; il y a l’art dramatique, lequel, comme tous les arts, a sa grammaire qu’il faut apprendre ; et les imprudents qui croient pouvoir s’en dispenser, par crainte de gâter leur précieuse « originalité », s’interdisent, pour l’avenir, l’accès des hauts sommets. lis seront condamnés à raser le sol, à rabaisser tous les sentiments, à rapetisser toutes les pensées, à ravaler tous les textes. N’abandonnons jamais complètement nos classiques, cette base des études. Luttons en faveur du « style, » pour la « métrique » de notre vers français, pour le « nombre » de notre prose française. Méfions-nous des critiques étrangers, et n’oublions jamais que le fameux Schlegel préférait Scribe à Molière.

Le Conservatoire, pas plus que n’importe quelle autre Institution, ne donnera jamais ni génie, ni même détalent, à ceux qui n’en ont pas ; mais on y a, quoi qu’on dise, gardé, plus fidèlement que partout ailleurs, les principes de la diction, de cet art auprès de quoi le reste n’est qu’accessoire ; de cet art que possédaient nos maîtres et que les nouveaux venus doivent garder pieusement, — car c’est désormais un devoir patriotique de défendre notre langue et de la faire triompher.

Certes, en art dramatique, ainsi que dans toute manifestation sociale, il faut tendre dans le sens des aspirations futures, mais à la condition de ne pas altérer les principes fondamentaux, sous peine de s’exposer à rétrograder, au lieu d’avancer. « Changer » n’est pas toujours « améliorer ; » et Lamartine, que je citais en commençant, me prêtera sa grande voix pour conclure : « Il n’y a de durable que le vrai, bien choisi ; il n’y a d’éternel que la nature épurée par le goût. Et puis... Ne faisons pas de théorie sur le beau, laissons le temps porter et reporter ses arrêts, lui seul est juge. »


JULES TRUFFIER.