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l’accentuation des tendances « naturalistes » par les élèves de tragédie et de comédie. Or, Guitry, — je dois dire que cette remarque m’est personnelle, — Guitry qui devait devenir l’un des chefs les plus combatifs de l’école « vériste, » me parut, au contraire, le seul possédant, parmi cette petite colonie bredouillante, qui précédait l’éclosion du Théâtre Libre, le seul possédant le pectus classique qu’il devait lui-même réprouver plus tard. Je croyais assister à l’apparition d’une force nouvelle, admirable, mise au service de la grande poésie, d’un Guitry cornélien, shakspearien, hugolien. Quel Horace ! Quel Caliban ! Quel Cromwell ! Quel Torquemada ! pensais-je !... Erreur ! Peu après son retour de Russie, je vis l’ombre de ces formidables figures se muer en ironie mystérieuse, en éclats rarescents mis au service de héros, souvent inférieurs à son puissant talent. Ce fut alors, — transformation très curieuse ! — que ce magicien protéïforme créa, pour les besoins de la cause sans doute, et pour ménager ses forces, qu’il « inventa » ce que j’appellerai « ce comble de l’artifice théâtral » que les non initiés qualifient de « naturel moderne : » cette prodigieuse « manière, » consistant à tout dire en serrant les dents, sur une note uniforme, et d’atteindre à « l’effet » par l’accumulation des phrases se superposant, s’écroulant, puis se regroupant, toujours sur le même ton.

Cet artifice des artifices donne la plus complète illusion de vérité qui soit ; et si je signale cet étonnant procédé, — qui ne peut s’adapter aux œuvres vraiment lyriques, — ce n’est pas pour le critiquer, c’est pour l’utiliser, au profit de ma thèse, et pour affirmer que, seuls, un travail de tous les instants, un métier volontaire, imperturbable, permettent à un grand acteur de rendre plus naturelles, plus vraies sur la scène que dans la vie, la nature et la vérité !

Mais il ne faut pas plus abuser du mot vérité que du mot nature dans notre art où il y a nature et vérité tout artificielles. J’ai entendu, un soir, avenue d’Eylau, Victor Hugo faire justice d’un « certain réalisme » mis au service de la poésie, dans la personne d’un grotesque apôtre de la « pure nature » qui nous avait offert un sabotage en règle des vers de la Conscience, traduits en langue bourgeoise, — « comme l’on parle, » — cette vague formule de notre bien-aimé Molière à qui l’on reprochait justement de « forcer » son jeu ! (Il y aura toujours une étrange