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taille devait à jamais dépasser les plus hautes parmi les plus hautes.

Le frère de Mounet-Sully, Paul Mounet, n’avait point passé par le Conservatoire. Il le regrettait sincèrement. Il y devint professeur et sa méthode devait rester un peu sommaire dans la pratique de son enseignement. « De la sensibilité ! » Ce mot disait tout, à son point de vue ; et ses indications se terminant toujours par cet unique impératif : « Evolue ! évolue ! évolue donc ! » n’étaient pas toujours comprises par une jeunesse à qui nous devons montrer comment « on évolue. » Mais que de qualités enviables il possédait ! Entre autres, cette faculté de savoir encourager les plus médiocres élèves, de les enthousiasmer, heureux de vivre, par les sonorités de ses tempêtes vocales. Il y avait quelque chose de supra-terrestre dans ce corps splendide et dans cette voix tumultueuse. Paul Mounet et son aîné, tels les gémeaux de Sparte, nés de Jupiter, nous auront donné l’inoubliable vision de demi-dieux sur les planches.


Je ne voudrais pas avoir l’air de procéder par contraste, par antithèse « scénique, » en opposant à ces dioscures disparus la physionomie puissante du grand acteur « moderne » et bien vivant qu’est mon ami Lucien Guitry.

Guitry sortit, à dix-huit ans, du Conservatoire, en 1878, avec un second prix de tragédie et un second prix de comédie. J’ai gardé le souvenir de son beau concours auquel j’assistais. L’aspect farouche, le verbe plein d’un feu concentré de son Achille racinien, l’accent profond dont il renforça la scène d’amour assez triste du Fils naturel, révélèrent de plano la haute autorité du « jeune-premier rôle » que Guitry devait être bientôt. La salle entière lui avait décerné le premier prix, mais le jury pensa qu’il était de l’intérêt du lauréat précoce de pousser ses études de diction pendant une année encore. Plusieurs critiques, Emile Perrin lui-même, furent de cet avis que ne partagea point le bouillant Achille. Il refusa d’aller plus outre dans la voie scolaire et voulut débuter en public sans plus attendre. Avec son large cou, ses cheveux noirs tombant sur le front, il avait l’aspect d’un jeune gladiateur, impatient de s’imposer dans l’arène.

La caractéristique de ce concours de 1878 fut, en général,