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qu’un second prix de comédie partagé avec La Roche. Il n’y eut, d’ailleurs, pas de première récompense cette année-là

Je demandais à notre maître Régnier, dont les deux frères Coquelin furent les élèves, les raisons de cette nomination disproportionnée avec la personnalité puissante de l’étincelant Mascarille, et je ne m’attendais guère à la réponse : « Il avait les cheveux en brosse plantés trop bas ; cela lui retirait du comique (!) On remarqua sa voix claironnante ; mais le trac ayant attristé sa figure, il parut inférieur à son camarade Malard à qui l’on n’octroya pourtant que le 1er accessit. En ce temps-là je l’avoue, — ajoutait Régnier, en tourmentant ses favoris taillés en côtelettes, — oui, je préférais Malard à Coquelin ! » Or, je ne vis, moi, qu’une fois ce Malard, au cours d’une matinée Ballande, dans le Crispin du Chevalier à la mode, et rien ne peut donner une idée de la faiblesse de ce comique lugubre, à l’œil terne, aux molles bajoues, aux lèvres minces, aux jambes massives, et qui ne put se faire une place même dans les théâtres provinciaux de troisième ordre. Les maîtres se trompent quelquefois sur leurs élèves ! Régnier ne se doutait pas, en 1868, que Coquelin demeurerait, à nos yeux, le plus grand comédien « lyrique » de notre temps.


Jean Mounet, dit Mounet-Sully, n’obtenait, en 1868, qu’un premier accessit de tragédie et un second prix de comédie dans le rôle de Clitandre, qu’il ne put jamais jouer, quelque désir qu’il en eût !

Celui qui fut un Rodrigue magnifiquement précieux, un Oreste aux bras sculptés comme ceux d’un éphèbe, un Polyeucte plus martyr de l’amour qu’ébloui de la grâce, qui fut l’indéchiffrable Hamlet, le sublime Œdipe, rêva, jusqu’à la fin, d’endosser l’habit de cour et de traduire l’élégant mépris, le dégoût souriant que tout « honnête homme » a le droit de montrer vis-à-vis des Lysidas, des Trissotin et des Vadius. Delaunay, qui fit beaucoup pour l’entrée de Mounet-Sully chez Molière, et qui tenait le rôle « en chef, » Delaunay discutait souvent sur le rôle de Clitandre avec le tragédien ; et c’est le tragédien qui, dans sa fougue excessive, infléchissait le rôle vers la comédie brillante ! Delaunay se préoccupait sans cesse d’adoucir la fameuse apostrophe :