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émerveillés par son jeu léger, par son accent « parisien » dans les Trois Sultanes de Favart ; et Sarcey, au rez-de-chaussée du Temps, lui décernait le premier prix. Elle l’avait, certes, mérité, mais le jury se décide souvent pour des motifs inconnus du public. Elle n’eut donc qu’un second prix. Régnier, son maître, était furieux. Je ne le vis jamais en pareille agitation. La foule trépignait : le spectacle était encore plus amusant dans la salle qu’il n’avait été sur la scène. Régnier, son chapeau haut de forme, tout à rebrousse-poil, enfoncé sur la tête jusqu’aux oreilles, traitait les jurés de « malfaiteurs !... » Il avait tort, car, en y réfléchissant, ces jurés, recrutés parmi ce que le monde des lettres et du théâtre comptait de plus distingué, étaient dans le vrai, à cette époque où les genres n’étaient point confondus, où l’on ne jugeait les concurrents que par rapport au « style. » Or, Réjane convenait qu’elle n’était pas née pour le style, — nous avons assisté à ses inutiles tentatives dans le répertoire, — qu’elle n’aurait peut-être pas fourni, rue de Richelieu, la carrière qu’elle remplit si brillamment au boulevard. Cela ne diminue en rien son talent ni sa gloire de très grande comédienne.

Au reste, les nombreuses lettres adressées par Réjane à son professeur Régnier nous prouvent son affection pour cette vieille école qu’elle voulut, elle aussi, « réformer » plus tard. Elle célébra, dans la National Review, les bienfaits de l’enseignement de la seule nature : « savoir regarder, voir, comprendre, enregistrer, classer et traduire enfin, avec nos moyens propres, tout ce que la vie quotidienne nous montre avec une inlassable générosité... Les élèves seraient moins longtemps encombrés d’inutiles habitudes acquises pendant des années d’une instruction dramatique incomplète, puisqu’elle ne s’occupe que trop du métier et pas assez de ce qui mène à l’art. »

Qu’est-ce que l’exquise Réjane entendait par « ce qui mène à l’art, » si ce n’est le « moyen » que nous donnons, d’« apprendre à regarder, » si ce n’est l’étude âpre et journalière du rudiment de cette « nature mise en principes, » qu’est l’art du théâtre ? O naturel que d’erreurs on commet en ton nom !


Je n’ai pas trouvé trace du concours de 1860 où Coquelin aîné n’obtint, tout ainsi que Worms, son aîné de trois ans au Conservatoire,