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escarboucles sous un petit front têtu ; son visage ovale, tout émacié, d’un blanc mat, prodigieusement tourmenté, mystérieux, n’avait pas cette coupe altière, cette expression de hautaine sérénité qu’il prit par la suite. Elle était petite, mince, légèrement inclinée, telle une Tanagra des vitrines du Musée de l’Acropole ; la métamorphose physique de toute sa personne est une des plus surprenantes qu’il m’ait été donné de voir au cours de ma carrière.

Le concours de Julia Bartet passa presque inaperçu ; je n’en ai pas trouvé trace dans les journaux... Et pourtant, quel talent discret et profond fut dépensé dans cette courte scène de l’École des maris ! Qui n’a pas entendu Julia Bartet dans cet admirable second acte, ne connaît pas l’Isabelle de Molière. Et quel trait de probité artistique dans le choix même de ce rôle tout intérieur, où la sincérité, la simplicité sont de rigueur ! C’était jouer la difficulté. Seule une comédienne de race supérieure pouvait se risquer dans les mille nuances délicates de ce personnage, tout en grisaille poétique, et si complexe dans son excusable fourberie. On ne transformait pas alors cette jolie création en midinette perverse. Isabelle doit montrer un exemple délicieux de la candeur libre et du noble enjouement dont Henriette laisse épanouir les charmes naturels. La thèse de Molière est celle des deux écoles sur l’éducation des jeunes filles : la manière forte dont abuse l’odieux Sganarelle et l’indulgence affectueuse que préconise le tendre Ariste, de quinze ans plus âgé que son frère. Si l’« honnête Isabelle » n’est qu’une gourgandine jouant de bons tours à son tuteur, il n’y a plus de pièce ; l’œuvre de Molière n’est plus qu’un scénario d’opérette.

Je n’ajouterai qu’un mot : je n’ai jamais fait une classe sans que le nom de Julia Bartet n’y fût cité comme un exemple !


Réjane n’obtint qu’un second prix. Je la revois, — car elle fut aussi ma petite camarade de classe, — je la revois, presque enfant, la veille de cette joyeuse joute scolaire de 1874. Elle portait, d’habitude, un complet à carreaux écossais, cambré à la taille et serré par une étroite ceinture noire en cuir verni. Le jour du concours, une simple robe de mousseline blanche et bleue. Son succès fut immense. Le public et la critique furent