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Rounat étant directeur de l’Odéon et Fernand Bourgeat secrétaire général, Sarah Bernhardt vint un jour, à l’Odéon, accompagnée de sa sœur Jeanne qu’elle désirait faire engager ; et la belle comédienne, dont Tout-Paris s’occupait alors, dit textuellement ceci : « Je vous amène ma sœur ; elle n’est pas meilleure que je n’étais lorsque j’ai raté mon premier prix ; mais elle fera comme moi : elle travaillera et se bonifiera. » Cette exquise Jeanne Bernhardt que nous aimions tous, devait, hélas ! quelques mois après, prendre froid au sortir d’un bal, telle l’héroïne de Victor Hugo, et disparaître prématurément.

Parlerai-je du professorat de Sarah Bernhardt au Conservatoire ? Il fut de brève durée. Les prémices en avaient été saluées bruyamment. On annonça que Sarah devait réformer l’enseignement ; que nous allions assistera maintes innovations... Au bout de quelques semaines, elle se fit remplacer par l’un des plus modestes pensionnaires de la Comédie-Française, et l’on n’entendit plus parler, — au Conservatoire, — de la fougueuse et charmante réformatrice. Il resta pour tout souvenir de son passage, — au palmarès, le brillant premier prix de Georges Le Roy, son élève ; — dans la salle où elle professait, un vase à fleurs, un tapis et un fauteuil, — car les fauteuils sont inconnus dans nos classes meublées de banquettes, d’escabeaux et de chaises de paille !


Le second accessit dont fut gratifiée l’admirable comédienne que l’on appelle si justement la divine s’explique autrement.

Mlle Julie-Jeanne Regnault, qui devait devenir la grande Julia Bartet, et dont j’eus l’honneur d’être le camarade d’école, fut, dès son entrée dans la classe de Régnier, « au-dessus » de toutes les autres ! Elle concourut, n’ayant que quelques mois d’études, et sortit du Conservatoire sans « attendre son prix, » selon l’expression courante. Elle fut engagée, sur le champ, par Carvalho, directeur du Vaudeville, qui la fit débuter dans un acte en vers d’Albert Millaud : le Péché véniel, et dans Plutus, autre acte en vers de Gaston Jollivet. Elle parut délicieuse et fut immédiatement choisie par Alphonse Daudet pour le rôle de Vivette de l’Arlésienne. Sa physionomie, à cette époque, n’était point du tout celle dont tout Paris garde la vision idéale. Ses yeux, un peu bridés, luisaient comme des