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Alexandre Dumas père, au sein d’une Commission formée pour « l’examen de la question théâtrale, » ne clamait-il point, dès 1840 : « Le Conservatoire fait des comédiens impossibles. Qu’on me donne n’importe quoi, un garde municipal licencié en février, un boutiquier retiré, j’en ferai un acteur ; mais je n’en ai jamais pu former un avec les élèves du Conservatoire. Ils sont à jamais gâtés par la routine ; ils n’ont point étudié la nature ; ils se sont toujours bornés à copier plus ou moins mal leurs maîtres... Les grands comédiens modernes ne sortent pas du Conservatoire. » Combien, qui ne sont pas le grand Dumas, disent-ils encore, aujourd’hui, sous une autre forme, — moins ronde, — exactement la même chose !

C’est à ces dénigrements faciles qu’il peut être amusant de répondre, pièces en mains.

Et d’abord, Dumas père se trompait, car les « comédiens modernes, » ses contemporains, dont il parlait, sortaient tous du Conservatoire : depuis Talma jusqu’à Bocage, le créateur de la lourde Nesle ; jusqu’à Frederick Lemaître, Lockroy, le créateur de Mlle de Belle-Isle, sans compter, depuis plus d’un demi-siècle, Got, Delaunay, Thiron, Coquelin, Mounet-Sully, Silvain, de Féraudy, le Bargy, Guitry, Georges Berr, de Max... jusqu’à mon élève Jean Sarment, le plus « moderne » des jeunes auteurs et des comédiens. Quant aux femmes, toutes, à part Mlle Mars, élève de Monvel, son père, — et si nous exceptons Desclée et Rose-Chéri, plus près de nous Mme Jeanne Granier, Sorel et Simone, — toutes les étoiles, de Dorval et de Rachel à Sarah-Bernhardt, des Brohan à Réjane, à Mmes Reichenberg, Bartet, Segond-Weber, Piérat, etc.. toutes sortirent de l’École. Mais le refrain reste le même. Il est convenu que nous desséchons le talent dans sa fleur ! On affirme qu’il suffit de regarder la nature !... Et c’est bien sous prétexte de se rapprocher de « la nature, » que les acteurs se sont habitués à confondre la simplicité avec la pauvreté d’expression, à ne plus rien donner qui passe la rampe, à ne plus même se faire entendre et à vouer au ridicule l’exercice des longs, des ennuyeux, mais indispensables préliminaires de notre art.

Lorsqu’en 1905, je fus appelé à professer au Conservatoire, le mépris des exercices classiques battait son plein. On songeait même à démolir les vieux bâtiments des anciens « Menus-Plaisirs, » faubourg Poissonnière, où vivait notre