Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans quelques jours, le 18 novembre, sa femme, qu’il aura laissée en famille à Mâcon pour se rendre lui-même à Paris avec Virieu, adressera à ce dernier une lettre éperdue en le priant d’apprendre « à Alphonse, dont toute la douleur va lui tomber sur le cœur, » la mort tragique de sa mère. Peu après, Montherot ira chercher son douloureux ami.

On lit, aux dernières pages du Manuscrit de ma Mère, comment le poète arriva trop tard à Mâcon pour revoir Mme de Lamartine et, se souvenant du vœu qu’elle avait marqué de dormir à Saint-Point le grand sommeil de la terre, enleva nuitamment le cercueil et le transporta à Milly, puis à Saint-Point, avec l’aide des paysans.

Il semble que ces romantiques funérailles aient été doubles et que la jeunesse de Lamartine fût, elle aussi, restée ensevelie sous le suaire des neiges hivernales. Ni la Correspondance, ni les œuvres du grand homme ne rendront plus désormais la sonorité juvénile, n’offriront plus la vivacité tendre que, même à travers les accents les plus désabusés, nous avons perçues jusqu’ici. Il désertera les lacs paisibles pour l’aventureuse tourmente des houles.

Le voyage en Orient, au cours duquel, par la mort de la petite Julia, la « sainte blessure » s’élargira au cœur du poète, ce voyage va transformer son esprit en l’accoutumant à de larges horizons qu’il souhaite avec une impatiente ardeur.

C’est un homme différent que sa patrie verra revenir. La douteur, la science, l’expérience, trois sentinelles redoutables aux médiocres dont elles fauchent l’élan, vont lui donner, avec les talismans suprêmes, l’impulsion qu’il attendait pour monter à l’assaut de son rêve, — je veux dire de sa destinée.


RENÉE DE BRIMONT.