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De son côté, Lamartine figé par le froid, perd cette vitalité allègre que lui a donnée la satisfaction de sa manie la plus chère, les travaux des terres et les bâtiments. Il dit à Montherot de ne pas l’attendre ; il n’ira à Lyon qu’en mars. Et il mande, probablement de Saint-Point :


ÉPÎTRE VIII
(Sur l’air : Gentil Hussard)

Lundi passé, je devais vous écrire,
Mais des beaux vers la saison a passé.
Mes doigts transis grelottent sur la lyre ;
Il fait trop froid : l’Hippocrène est glacé.
Vous m’écrivez en vers dignes d’Horace.
Moi, mon ami, je ne sais que nombrer
— Non plus, hélas, les mètres du Parnasse —
Les pieds de roi qu’il me faut mesurer.
J’ai des piocheurs, des planteurs, qui me plantent
De bons poiriers de toutes les saisons ;
J’ai des maçons, qui jurent et qui chantent ;
J’ai des voisins qui grillent leurs cochons.

A ce train-là que voulez-vous qu’on chante ?
Hugo lui-même aurait peine à chanter.
Lorsque j’étais chez mon oncle ou ma tante,
Que je n’avais rien du tout à compter,
Je rimais mieux... Mais au diable la rime !
De bons moments valent bien de bons vers ;
J’en ai beaucoup et le repos ranime
Les feux cachés sous mes trente ans couverts.

Oui, je pourrais retrouver dans mon âme
L’illusion qui rit en nous quittant ;
Sécher encore aux genoux d’une femme,
Je le pourrais !... Mais mon coursier m’attend.
Oui, je pourrais tirer encor des larmes
De cette harpe, écho de mes douteurs,
Et dans ses sons trouver de nouveaux charmes ;
Je le pourrais... Mais on m’appelle ailleurs !

Oui, je pourrais, plein de son froid délire,
Tenter la gloire en rimeur couronné
Et m’élancer sur les ailes de cire ;
Je le pourrais... Mais je donne un dîné !...