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Ce ne sont pas les spéculations seulement qui rendent Lamartine pensif. Il y a aussi la « haute politique. » Aussi, ne sommes-nous pas surpris de le retrouver tout à coup à Paris, où, disons-le, il commence par acheter mille choses pour sa femme : « une superbe fourrure en petit gris avec un manteau de velours de je ne sais quoi bleu de la Chine, une robe de popeline ravissante, une capote, deux bérets à jours, des gants, des souliers et une jolie voiture à sa guise. Je suis ruiné, j’aurai à peine pour m’en retourner. Mais nous aurons de l’argent dans deux ans quand je voudrai publier mes vers. Cependant, cet argent est destiné à des œuvres pieuses [1]... »

Mais là n’est pas le vrai but de son voyage. Il va voir le Roi, qui « le traite en toute bonté. » Il s’aperçoit qu’il a « germé et grandi pendant son absence et son silence. » Tous les jours, « il a trente ou quarante personnes chez lui, il est écrasé, étouffé d’amitiés, de prévenances, de cajoleries, de dévouements universels, ce serait à en perdre la tête ! [2] » Il ajoute qu’il ne la perd pas. Tout cela est écrit à Virieu, le confident, véritable et sévère, de qui l’opinion lui importe le plus.

Car si le poète accueille avec une modestie supérieure les désapprobations littéraires, il est bien plus sensible aux discussions sur ses tendances politiques. Il sent son ami mécontent, réticent : « Je m’afflige du délai et de l’incertitude, lui écrit-il ; qu’est-ce que des affaires ? On a toujours le temps ; mais des amitiés, non. Mais tu ne comprends pas ma pensée centralisatrice et décentralisatrice, quand tu m’accuses de contradiction, etc.. » Il faudrait citer toute la lettre, véritable réquisitoire contre l’individualisme en matière de gouvernement.

Voilà presque uniquement ce qui préoccupe l’esprit de Lamartine : « Je ne suis plus philosophe, c’est pourquoi j’irai loin dans le monde actif. Qui a ce qu’il rêve ? Je ne rêve plus. » Il ne rêve plus ; il est décidé à agir ; il va désormais guetter son heure.

Montherot, qui l’attend à Lyon, continue de s’escrimer fidèlement sous l’égide de sa Muse en cotillon court et souliers plats.

  1. Lettre à sa mère.
  2. C’est à cette époque que Villemain donne lecture, à la Sorbonne, de l’Hymne au Matin et de la Perte de l’Anio.