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Septembre 1828.

Est-il vrai que, bercé dans un lourd voiturin,
De Florence à Sestri, de Gênes à Turin,
De Turin à Mâcon traversant la Savoie,
Vous avez à pas lents suivi la grande voie ?
Si vous avez ainsi fait tout ce long trajet,
De résignation je vous donne un brevet.
De l’art dans son enfance invention maudite,
Vous qu’avec peine on prend, qu’avec plaisir on quitte,
Voiturins indolents qu’avec plaisir j’évite,
Je plains l’infortuné qui vingt jours vous habite !
N’en êtes-vous pas morts ? Je vous en félicite !


Si les objets ont des âmes, peut-être le lourd voiturin n’arrachait-il le poète à une terre élyséenne et ne le portait-il vers son destin tourmenté, qu’avec de miséricordieuses lenteurs ?

En septembre, il arrive à Mâcon. Qu’est devenu son cher casino toscan ? Il a, mon Dieu, fort prudemment arrangé les choses en revendant une partie des domaines, ce qui, assure-t-il, le fait rentrer dans tous ses débours. « Et je garde pour rien un joli hôtel parfaitement meublé que je loue vingt-cinq louis par mois, un beau jardin anglais et des champs utiles. Cette opération financière me donne envie de faire des spéculations. Hors des spéculations et de la haute politique, je ne suis plus propre à rien. L’ennui me possède beaucoup, comme dans ma première jeunesse. On change, dit-on, tous les sept ans. Je le crois de l’esprit, sinon du cœur, car je n’ai jamais changé d’amitiés, mais bien souvent de goûts [1]. » Pour l’instant, il a de l’argent. Il le distribue. Il comble sa mère, plus heureuse encore des sollicitudes filiales que de soutenir son pauvre budget défaillant. « Je vais te revoir, écrit-il à Virieu, dès que j’aurai été à Saint-Point recevoir une réception à pied et à cheval avec tambour et canon, qu’on m’y ménage à mon insu. » Dans son domaine dijonnais il médite. En vain a-t-il tenté d’y achever son volume des Harmonies. Il n’a su, tout en pensant à autre chose et en jouant avec ses chiens, que dessiner distraitement un lancier à cheval que sa petite fille prendra sans peine pour une barque. Montherot, dans une amusante épitre, le raille de ces flâneries.

  1. Lettre à la marquise de Raigecourt.