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Eh quoi ! Les bords charmants de ce lac poétique
Dont me berça jadis le flot mélancolique,
Les vieux murs d’Hautecombe ou le Mont dit du Chat
N’auraient-ils donc plus rien qui frappât ou touchât ?
Que j’étais différent dans ma verte jeunesse !
Que ces lieux m’inspiraient de joie ou de tristesse !
Mais la corde se brise à force de vibrer :
Je ne puis maintenant ni rire ni pleurer !
(Vers sublime, il me semble, et que, dans son poème,
Byron, blasé sur tout, eût trouvé de lui-même.)
Ma foi, si je faisais un poème aujourd’hui.
Je prendrais un sujet burlesque, ainsi que lui.
La nature, mon cher, est double comme nous :
Quand on la vit dessus, il faut la voir dessous !
(Mais, ô ciel ! qu’ai-je fait ? Après la masculine,
J’ai, par omission, omis la féminine !
Ce n’est pas tout encore : en griffonnant ces vers,
J’ai commencé la page, hélas, par le revers !)
Reprenons ! Je disais que si jamais ma Muse
Revient me visiter, je veux qu’elle s’amuse !
Et puisse-t-elle aussi divertir mes lecteurs.
Le Permesse français ne roule que des pleurs.
Il est doux de pleurer quand on a de la peine,
Mais pleurer sans chagrin est une rude peine.
Ainsi font mes amis pleins de componction,
Qui pleurent d’impuissance et d’imitation.
Je suis, depuis dix jours, dans les murs de Livourne.
Et, de quelque côté que mon regard se tourne,
Je vois de toute part la ville de Livourne !
J’attends, incessamment, l’ambassadeur du Roi,
A qui je laisserai très gaiment mon emploi
Pour aller lentement, vers la fin de septembre,
Retrouver mes amis, ma patrie et ma chambre !
Il est doux d’occuper un poste officiel
Auprès d’un très bon prince et sous un très beau ciel ;
Il est doux de toucher, pour prix de tant de peine,
Chez le banquier du Roi, cinq cents francs par semaine ;
Il est doux d’en manger trois ou quatre fois plus
A traiter ses amis ou les premiers venus ;
Il est doux d’endosser un superbe uniforme
Et le fourreau sans lame et le chapeau sans forme ;
Il est beau de tenir, avec des potentats,
Un dialogue à deux où l’on ne parle pas !