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Je veux par ces beaux vers vous peindre les Cascines ;
Mais quels vers sont égaux à ces forêts divines
Où je vais tous les jours me promener au pas,
Au pas de mon cheval que je ne guide pas,
Mais qui, dans ces beaux lieux qu’il connaît et qu’il aime,
S’enfonce avec plaisir et se perd de lui-même !
Là s’élèvent au ciel les dômes découpés
De ces « pinus larix » qui, du soleil frappés,
Semblent, comme un portique ou comme une coupole,
Des beaux rayons du soir réfléchir l’auréole.
L’âme s’épanouit dans ces lieux enchanteurs,
De fouler les gazons, de respirer les fleurs
Et de voir, à travers ces mobiles ombrages,
Étinceler l’azur d’un couchant sans nuages !
Il ne m’y manque rien que le cœur d’un ami !
Mais ce pays, mon cher, n’en produit qu’à demi :
On y voit du soleil, des fleuves, des campagnes,
Des astres, des chanteurs, des Anglais, des montagnes,
D’éclatantes beautés dont le cœur est de feu ;
Mais de bons vrais amis, le sol en produit peu.
En France, j’en conviens, on en voit davantage ;
C’est pourquoi ma patrie a toujours mon hommage !
Je vous compte à jamais au nombre des élus ;
Vous êtes de ces cœurs comme l’on n’en voit plus
Et de ces bons esprits dont la race est éteinte.
Venez donc, venez donc, vers la Semaine Sainte,
Passer auprès de nous, un, deux, trois, quatre mois !
Vallombreuse, pour nous, épaissira ses bois !
Pour nous, les flots d’argent de la mer de Toscane
Étendront sur leurs bords leur frange diaphane ;
Pour nous, les bains de Lucque épancheront leurs eaux.
Ou Pise étalera son luxe de tombeaux !
Mais, avant de finir ma lente période,
De mon papier trop court j’ai touché l’antipode.
Adieu donc. Je m’en vais avoir à déjeuner
Un auteur avec qui je vais me promener :
C’est l’auteur du Lépreux et du joli Voyage [1],
Pour qui son seul fauteuil fut le seul équipage.
C’est un fort bon enfant, enfant à cheveux gris,
Qui n’a rien oublié, mais qui n’a rien appris ;
Son esprit est toujours à la première page,
Il a, ma foi, raison. Mais j’entends le tapage

  1. Xavier de Maistre.