Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est lui qui fait payer chez le bon monsieur Roy
Ce milliard national dont l’obole est pour moi !
Je m’en rapporte à lui du soin de ma fortune.
Puisque je n’entretiens blonde, rousse ni brune,
Que je ne risque pas ou sur rouge ou sur noir
L’écu sur qui le pauvre a fondé son espoir,
J’espère qu’en dépit de mon « peu de conduite »
(Beau terme que Lyon reconnaîtra bien vite),
Je verrai jusqu’au bout de mes paisibles jours
Mon Pactole inégal s’accroître dans son cours,
Et, qu’en partant d’ici le cœur pur, les mains nettes,
Je laisserai, mon cher, plus de vers que de dettes.

Mais avec quel plaisir, mon cher ami, j’ai vu
L’article du budget que de vous j’ai reçu !
Quinze ou dix-huit cents francs pour aller à Florence !
Eh quoi ? Vous venez donc ? Je suis fou quand j’y pense !

Je vais vous préparer un petit logement
Dans mon propre palais, dans ce casin charmant
Que je viens d’acheter par ennui des auberges,
Où je fais arracher les pois et les asperges
Pour semer du gazon que l’on appelle anglais
El planter du laurier, des ifs et des cyprès !
C’est un endroit charmant que le soleil inonde ;
On s’y croit, si l’on veut, seul comme au bout du monde
Et l’on est, cependant, à quatre pas de là
Ou au Cocomero ou à la Pergola.
Vous connaissez assez la Toscane, je pense,
Pour connaître ces noms célèbres dans Florence,
Deux théâtres obscurs, où l’on entend brailler
Des voix qui font frémir, ou pour le moins, bâiller !
Aussi, je n’y vais plus ; c’est un fort sot usage
Que d’aller s’ennuyer on ne peut davantage
Pour avoir l’agrément de souffler dans ses doigts,
Jusqu’à minuit sonné, dans des coffres étroits,
Tandis qu’au coin du feu l’on peut, avec son livre,
Les pieds sur deux chenets, se consoler de vivre !

Ah ! qu’il sera plus doux, à l’heure où le soleil
Darde à travers les bois un jour tendre et vermeil
Et, dorant les sommets des beaux pins d’Italie,
Invite l’œil pensif à la mélancolie,
D’aller nonchalamment errer sous les rameaux
Où l’Arno murmurant laisse ombrager ses eaux.