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Cependant, ses résolutions se précisent : « Représenter son pays à la Chambre, influer sur sa destinée, à la bonne heure, écrit-il à sa mère dans sa lettre de bonne année ; cela, je ne le refuserai jamais ! Mais faire le serviteur pendant quinze ans pour obtenir de le faire le reste de sa vie en habit un peu plus brodé me semble vraie folie, quand surtout, comme moi, on a mieux à faire. »

Au début de l’année 1828, Lamartine apprend la nomination, en remplacement du marquis de La Maisonfort, de M. de Vitrolles ; cela au moins lui apporte une certitude : il ne pourra rester sous les ordres de ce diplomate. Mais l’arrivée du nouveau ministre, annoncée pour le printemps, est reculée de mois en mois jusqu’à l’automne ; son retour est d’autant différé, sans qu’il sache à quoi s’en tenir avant les toutes dernières semaines.

Il se débat dans les embarras d’argent que lui a valus l’achat du casino et, au moment où il presse Virieu de lui envoyer l’avance demandée, il reçoit une lettre où Montherot lui apprend qu’il vient de l’associer de compte à demi dans un acte de charité. Il s’agissait de payer les dettes de l’abbé Dumont, ami de la famille, menacé de saisie. Du coup, Lamartine sort de son silence et, négligeant ses propres difficultés, rime une longue épitre pour remercier son beau-frère de cette initiative.

L’abbé Dumont est, comme on sait, un personnage bien original, dont la romanesque allure exerça, sur l’enfance du poète, une influence indiscutable. Chaque matin le petit Alphonse, portant son déjeuner dans un sac sur son des et, à la main, un fagot pour le feu de la cure, suivait avec d’autres enfants le chemin qui mène du hameau de Milly au village de Bussières, afin de recevoir du jeune prêtre les premières notions de latin. Plus tard, revenu à Milly après quelques années de pension, il s’est lié d’amitié avec son éducateur. Quelle émotion pour l’élève admis à pénétrer dans l’intimité de cette âme altière, de ce cœur malheureux, de cet esprit tourmenté et si peu orthodoxe !... Le goût de Lamartine pour Jean-Jacques, Voltaire et les Encyclopédistes, s’est développé à loisir dans l’atmosphère de vertige moral qui favorisa également les doutes, les anxiétés, les nostalgies, les grandes ferveurs retombantes dont est faite son adolescence... Il est advenu de cette amitié ce qu’il advient chaque fois qu’une figure, prestigieuse par la puissance ou l’étrangeté,