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vaincre : il a brillamment réussi, si brillamment que, fatigué de tout un hiver de réceptions et de fêtes, perpétuellement sous le coup du retour de M. de la Maisonfort, dont on ne soupçonne pas alors que la fin soit aussi proche, « il s’ennuie profondément. » Et, lorsqu’il s’ennuie, il n’écrit plus.

Un instant, il se réveille : c’est qu’il se réveille héritier. Un oncle vient de mourir en lui laissant de grands biens. Or, Lamartine, en matière de biens, appartient à cette catégorie spéciale de personnes chez qui l’extrême prodigalité provoque, en réflexe et pour les raisons exactement inverses, l’obsession d’acquérir, la hantise de spéculer, qui semblent le propre des cupides. Il n’est guère de lettre de lui où la question pécuniaire n’intervienne, et il convoite la fortune pour la lancer aux quatre vents du ciel !

Sans être encore entièrement fixé sur ce que lui laisse son oncle, Lamartine secoue un peu sa langueur et écrit à Montherot :


EPÎTRE V


Livourne, 17 juillet 1827.

Ma foi, mon cher ami, je ne sais que vous dire.
Je pourrais bien parler, mais je ne puis écrire.
La plume entre mes doigts glisse comme un roseau,
Mon encre est de la gomme ou bien de la claire eau.
Au diable l’inventeur des papiers et des lettres !
Je maudis chaque jour et le rythme et les mètres !
J’aimerais mieux dormir du matin jusqu’au soir ;
Mes yeux sont fatigués de crayonner du noir ;
Mon sot métier m’assomme et je vous porte envie,
O vous, vous, Montherot, qui passez votre vie
A battre du papier ou de la peau de veau,
A parcourir la France et par monts et par vaux,
Sans que jamais la voix d’un commis de la Poste
Vous rappelle qu’il est l’heure d’être à son poste !
Plaisanterie à part, je suis fort ennuyé
Et si je n’avais peur d’être plus ennuyé,
J’irais assurément m’ennuyer au plus vite
Dans quelque bon château que le repos habite.
Mais il faut jusqu’au bout boire le vin versé.
Ah ! quand verrai-je enfin l’encrier renversé
Ou, couvert de deux doigts d’une blanchâtre écume,
Attester que d’un an je n’y trempai de plume ?