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Ce qui est évident, ce qui se dégage de toute la correspondance de Lamartine à cette époque et des épîtres mêmes dont nous nous occupons ici, c’est que le départ de M. de la Maisonfort lui procure, — et seulement alors, — l’indépendance et l’activité qui pouvaient lui faire prendre son rôle au sérieux. Il quitte une allure négligente et légèrement sceptique ; il s’anime, il travaille ; ses forces vives affleurent. Être « oublié à son poste » n’est heureusement pas, dans son esprit, y rester inaperçu.

Il ne faut donc nullement se méprendre au ton désinvolte sur lequel il discourt, dans l’épître suivante, des vanités du monde, et persifle sa propre personne s’apprêtant pour aller remplir une fonction officielle. Sa lucidité lui laisse toujours voir le fond des choses, mais les choses ont une saveur qui lui plait.


ÉPÎTRE II

Firenze, 23 marzo.

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Que faites-vous là-bas, le pilon à la main,
Battant et rebattant votre vieux parchemin ?
Quoi ! n’entendez-vous pas, du haut de votre rue
Le zéphir du printemps qui dissipe la nue,
L’avalanche qui tombe au pied du Mont Cenis
Et qui rend les chemins de Rome tout unis ?
Voilà le champ qui germe et le ciel qui s’essuie.
Prenez souliers à clous, bâton et parapluie.
Et par un beau matin venez vous promener.
Jusqu’aux bords où l’Arno que je vois décliner.
Passant sous mon palais sans que rien le détourne,
De détours en détours, tourne jusqu’à Livourne !
Quel plaisir vous aurez de Gêne à Chiavari !
Santa Margarita ! Le golfe de Sestri !
Carare et Lucque enfin dont les Alpes riantes
Recouver les partout de forêts verdoyantes
Sont le plus doux séjour qu’au milieu de l’été
Au poète trop gras la nature ait prêté !
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Venez donc : vous aurez, en attendant, ici,
Bon feu, bon lit, bon hôte, et bonne chère aussi ;
Nous irons le matin errer sous les Cascines ;
Ou bien philosopher sur de vertes collines.
Ou, le lapis en mains, couché sous l’olivier,
Observer la nature et la versifier !